Vendredi 19 avril 2024

Société

Réinsertion des enfants en situation de rue : Un fiasco

06/12/2022 Commentaires fermés sur Réinsertion des enfants en situation de rue : Un fiasco
Réinsertion des enfants en situation de rue : Un fiasco
Visite surprise du maire de la ville de Bujumbura à la quatrième avenue au lieu dit ‘’kwa Roza’’.

Avec la nouvelle recrudescence des enfants en situation de rue, Iwacu a mené l’enquête pour tenter de décrypter les revers du programme de réinsertion initié par les pouvoirs publics.

Tout est parti d’un message abondamment relayé sur les réseaux sociaux. Dans un message whatsapp du jeudi 24 novembre, nous apprenions qu’un groupe de sept à huit enfants s’en sont pris à un agent Lumicash/Ecocash près du siège de la banque KCB. Ce message d’alerte précisait que l’agent s’est fait voler ses téléphones et de l’argent par ces enfants en situation de rue qui ont directement pris la fuite.

Avec ce message qui annonçait en outre que les enfants en situation de rue ont fait leur retour en nombre, nous avons décidé de mener une enquête.

Lundi 28 novembre. Nous sommes sur la quatrième avenue de la zone Bwiza, le lieu communément appelé ‘’kwa Roza’’. Là où sont habituellement rassemblés de nombreux enfants en situation de rue. C’est aux parcelles numérotées 60 et 74.

Une passante nous indique l’endroit mais nous prévient : « Vous allez vraiment là-bas ? C’est plein de voyous ! Vous risquez d’avoir des problèmes ! »

Arrivé sur les lieux, une douzaine d’enfants en situation de rue sont en train de jouer au football en pleine rue. Nous tentons de nous rapprocher d’eux pour leur parler. A les entendre, aucun programme de réinsertion en leur faveur n’a jamais vu le jour. « Le temps où on profitait de nous est révolu », dit tout haut l’un d’entre d’eux.

« Ils se battent tout le temps et ils volent en plus », confie G.R., un vendeur de charbon de bois présent sur les lieux. Et de relater un épisode qui l’a particulièrement marqué : « Un jour, un enfant en situation de rue a été surpris en train de voler mon charbon de bois. Il a pris la fuite avant qu’on l’attrape.»

‘’Le QG des enfants en situation de rue’’

Juste à côté de là où G.R. vend du charbon de bois, se trouve une épicerie. Nous décidons d’y entrer. S.D., le tenancier de la dite épicerie, nous accueille avec le sourire. Nous commandons une limonade et nous mettons à discuter avec lui. « C’est ici le quartier général des enfants en situation de rue », nous dit-il d’emblée en riant. Nous apprenons de lui que ces enfants, dont certains approchent aujourd’hui l’âge adulte, viennent parfois de Musaga, Buterere et même de Bujumbura rural.

Il estime que les enfants en situation de rue représentent ‘’un problème’’ ingérable : « Ils peuvent voler en plein jour et parfois, sans même avoir peur de se faire prendre.» Un fait notable l’a particulièrement bouleversé. « Un beau jour, un monsieur s’est approché pour leur venir en aide et ils en ont profité pour lui voler son téléphone portable qui se trouvait dans la voiture ! », indique-t-il. Au moment où nous parlons, deux jeunes hommes d’à peu près 20 ans entrent dans l’épicerie. « Vous êtes les boss qu’on admire », nous interpellent-ils. La voix traînante, les yeux presque endormis, la démarche vacillante, nous pensons tout de suite que ‘’nos admirateurs’’ sont sous l’effet de la drogue. Nous posons la question à S.D. qui confirme nos doutes : « Ils consomment constamment de la drogue, ça c’est connu !»

Tout à coup, un vacarme se fait entendre. Un attroupement s’est formé et, au milieu, deux policiers viennent d’interpeller deux enfants en situation de rue. A leurs côtés, une jeune femme en jeans et t-shirt qui témoigne qu’elle vient de se faire voler son téléphone portable au niveau des bureaux de la mairie de Bujumbura : « J’avais mon téléphone portable en main quand un enfant en situation de rue s’est approché, m’a pris l’avant-bras et m’a forcé à lâcher mon téléphone dont il s’est emparé avant de prendre la fuite.»

Malheureusement pour elle, aucun des deux enfants attrapés par les policiers n’est coupable du vol. « S’ils ont pris la fuite et pris la direction des égouts, là, t’es mal barrée ma chère », dit un homme au sein de la petite foule qui s’est formée. La jeune femme poursuivra ses recherches avec les policiers, en vain.

De retour à l’épicerie, S.D. nous fait remarquer : « Je vous avais dit qu’ils ne s’empêchaient pas de voler en plein jour !»

Un chef de quartier dépassé

Amos Nshimirimana, chef de quartier Bwiza : « Si rien n’est fait, demain ou après-demain, on aura affaire à une rébellion.»

Quand nous lui parlons au téléphone pour décrocher un rendez-vous, Amos Nshimirimana, chef du quartier Bwiza, confie son impuissance : « Je me sens dépassé par cette question liée aux enfants en situation de rue présents dans mon quartier.»

Au moment de notre rencontre à la première avenue de la zone Bwiza, c’est un homme préoccupé qui nous reçoit : « Ces enfants en situation de rue sont en train de devenir adultes pour une bonne partie d’entre eux. Mais vous ne pouvez imaginer à quel point ça me fend le cœur de voir, à la nuit tombée, ces enfants couchés à même le sol et se couvrant à l’aide de morceaux de cartons. Ça fait mal de voir ça en tant que parent.»

Le chef de quartier Bwiza prévient : « Si rien n’est fait, demain ou après-demain, on aura affaire à une rébellion car ces enfants sont devenus de vrais brigands. Le soir, ils se trimballent avec des lames de rasoir. Si tu ne fais pas attention, ils te blessent avec.» Et de poursuivre : « Quand on les attrape, ils ne peuvent faire la case prison car ils sont mineurs. On les emmène le plus souvent dans des centres d’encadrement à Jabe. Et là-bas, quand ils passent deux ou trois jours sans être nourris, ils sont très vite relâchés.»

Cette autorité locale nous informe, par ailleurs, qu’aujourd’hui même 143 enfants en situation de rue avaient été emmenés au CERES et au PES, deux centres d’encadrement et de réinsertion des enfants en situation de rue situés au quartier Jabe. « Malheureusement, là-bas, nous sommes confrontés au problème lié à leur alimentation ».

Nous demandons à Amos Nshimirimana de nous emmener visiter le CERES (Centre d’Encadrement et de Réinsertion des Enfants Soleil), mais nous n’avons malheureusement pas eu le droit d’y entrer. Le lendemain, nous allons tenter de joindre le centre, sans succès.

Pour rappel, le 22 août dernier, le maire de la ville de Bujumbura, Jimmy Hatungimana, a effectué une descente à la quatrième avenue de Bwiza et avait recommandé que cet endroit ‘’kwa Roza’’ soit fermé.

Retour sur une stratégie mise en échec

En juillet dernier, environ 200 adultes mendiants et 90 enfants en situation de rue avaient été arrêtés et rassemblés au Commissariat municipal en mairie de Bujumbura.

« Pour les mendiants adultes, des enquêtes seront menées par la police judiciaire et des dossiers judiciaires seront constitués et transférés à la justice. Pour les enfants, nous avons déjà trois centres qui vont nous aider pour l’encadrement de ces enfants en attendant l’identification de leurs familles », avait indiqué à cette époque Félix Ngendabanyikwa, secrétaire permanent au ministère de la Solidarité nationale, des Affaires sociales, des Droits de la Personne humaine et du Genre.

Et de préciser qu’étaient visés dans cette rafle les enfants et adultes qui dormaient au bord de la rue et dans les caniveaux ainsi que ceux qui étaient en train de mendier.

Félix Ngendabanyikwa avait expliqué en outre que le travail de retrait des mendiants et enfants en situation de rue avait été effectué dans le strict respect des droits humains. « Ce travail continuera en collaboration avec le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice pour qu’il n’y ait plus de mendiants au Burundi et surtout dans les rues de la ville de Bujumbura », avait-il fait savoir.

Et d’ajouter que tous les gens qui seraient surpris en train de donner de l’argent aux mendiants seraient sanctionnés conformément au code pénal qui proscrit la mendicité.

Notons également que ce jour-là, 72 enfants avaient été transférés et accueillis dans les centres d’encadrement et de réintégration des enfants en situation de rue (CERES et PES) basés au quartier Jabe en mairie de Bujumbura.

La ministre chargée des affaires sociales, Imelde Sabushimike, avait donné, dans une déclaration du 21 juin, deux semaines aux enfants en situation de rue et les mendiants pour dégager des rues des centres urbains. Elle a menacé de considérer comme complice toute personne qui serait appréhendée en train de donner de l’argent aux mendiants.


Eclairage

Ferdinand Simbaruhije : « Les racines de la problématique n’ont pas été identifiées »

Pour le chargé de plaidoyer et de la Communication au sein du Fenadeb (Fédération nationale des associations engagées dans le domaine de l’enfance au Burundi), les raisons qui expliquent le retour des enfants en situation de rue sont les mêmes que celles qui conduisent au phénomène des enfants en situation de rue : taux de chômage élevé, pauvreté, non-accès aux services sociaux de base (éducation, santé, etc.), démographie galopante, mésentente entre les parents, etc.
« Les racines de la problématique n’ont pas été identifiées. Nous demandons à ce qu’il y ait une étude au cas par cas des raisons ayant poussé l’enfant à vivre dans la rue. Si cela n’est pas fait, nous assisterons toujours à ces retours dans la rue», a analysé Ferdinand Simbaruhije.

Le chargé de plaidoyer et de la Communication au sein du Fenadeb dit espérer que le gouvernement va mettre en pratique la Stratégie nationale de prévention du phénomène des enfants en situation de rue et des adultes mendiants au Burundi et de leur intégration communautaire qu’il a élaborée et qui repose sur les axes suivants : s’attaquer aux problèmes qui sont à l’origine du phénomène, renforcer les familles économiquement, mettre en place une formation valorisante pour les familles, scolariser les enfants en âge de l’être, offrir des formations professionnelles pour les enfants en situation de rue devenus adultes et s’assurer par la suite de leur insertion professionnelle, collaborer avec tous les acteurs impliqués dans le domaine de l’enfance (parents, communauté, éducateurs, partenaires techniques et financiers, etc.).

M. Simbaruhije préconise également la présence d’assistants sociaux, notamment dans les centres de transit pour aider les enfants en situation de rue « à retrouver le droit chemin » du fait des mauvaises habitudes héritées de la vie dans la rue. Un travail des assistants sociaux qui, d’après ce militant engagé dans le domaine de l’enfance, doit se poursuivre une fois que les enfants sont de retour dans leurs familles respectives (Post-réinsertion).

Nous avons essayé de joindre le ministère en charge de la Solidarité, sans succès.

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