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Société

Mutimbuzi : L’effet Sérapion dans l’attribution d’une propriété

11/03/2019 Commentaires fermés sur Mutimbuzi : L’effet Sérapion dans l’attribution d’une propriété
Mutimbuzi : L’effet Sérapion dans l’attribution d’une propriété
L’Etat ne manifestait pas jusqu’en 2014 des prétentions d’intérêt sur cette propriété litigieuse.

La cour spéciale de la CNTB a attribué à l’Etat, lundi 26 février, une propriété de 770 ha située en commune Mutimbuzi de la province Bujumbura. Ce verdict est l’aboutissement d’un procès opposant, à l’origine, la société Ruzizi à la population. Cinq ans plus tôt, la CNTB avait recommandé cette même décision.

L’affaire remonte à 2007. L’Etat n’est pas au début partie prenante. 109 familles introduisent une plainte contre la société Ruzizi auprès de la Commission nationale terres et autres biens (CNTB). Les propriétés litigieuses sont situées sur les collines de Tenga, Rubirizi et Nyabunyegeri en commune Mutimbuzi de la province Bujumbura.

D’après ces familles, leurs ancêtres bénéficient en 1930 des terres de la part du chef coutumier Rwakayero. Elles sont mitoyennes d’une propriété de plus de 450 ha pour lesquels la société Ruzizi possède alors «un contrat d’exploitation».

Les descendants assurent que leurs parents y ont exercé différentes activités jusqu’en avril 1972. Cette période correspond au début de la crise. Celle-ci pousse des milliers de Burundais en exil. Par après, indiquent-ils, la société Ruzizi a étendu ses plantations de caféiers sur leurs terres. Ainsi, ils ignorent tout ce qui a été fait depuis lors.

En contre-attaque, le directeur général de la société Ruzizi fera savoir que les propriétés appartiennent à la famille Kasubutare dont il est par ailleurs un des descendants. Il présente à la commission des titres de propriété pour 718 ha. Il soutient aussi que sa famille a acheté toutes les actions. En 1992, celles de la société Geomines international qui en détenait 93% et en 1996, les 7% de l’Etat.

En 2009, la CNTB tranche. A l’issue de la plénière, sa décision du 29 juin reconnaît l’authenticité des titres de la société Ruzizi et lui donne gain de cause. La décision n’est pas exécutée aussitôt.
Deux ans plus tard, la présidence de la République demandera à la CNTB d’observer la décision prise. Entre-temps, cette commission a un nouveau président. Mgr Sérapion Bambonanire vient de succéder à l’Abbé Astère Kana.

Ruzizi et les populations déboutées

Dans cette lettre, le chef du cabinet du président de la République demandait au président de la CNTB de mettre en exécution la décision de son successeur attribuant la propriété à la société Ruzizi.

Dans la lettre du 25 juin 2011 au nouveau président de la CNTB, Clotilde Niragira, chef du cabinet civil du président de la République, insiste sur l’exécution correcte de la décision de son prédécesseur. Elle reconnaîtra tout de même le droit de l’autre partie d’interjeter appel.

Le 27 juillet de la même année, Jean Baptiste Gahimbare, ministre de la Bonne gouvernance, s’en tenant aussi à la même décision que celle invoquée par le chef du cabinet civil du président de la République, demande au président de la CNTB de rétablir les familles plaignantes «dans leurs droits». Une demande aux antipodes de l’esprit de la décision prise par la CNTB.

Même si les numéros de référence invoqués par le ministre et le chef du cabinet civil à la présidence de la République sont les mêmes, les dates de signature diffèrent. La décision No 407/09 du 26 septembre 2009 dans la lettre du ministre et la décision No 407/09 du 29 juin 2009 dans la lettre du second.

Ni la demande de la présidence de la République ni celle du ministre de la bonne gouvernance ne seront mises en exécution.

Dans le rapport de la CNTB d’avril 2014, Mgr Sérapion Bambonanire recommande que toutes les terres faisant objet de litige soient attribuées à l’Etat. Il remet en cause le travail de son prédécesseur.
Selon lui, la société Ruzizi n’a pas été en mesure de présenter des documents d’appartenance des propriétés qu’elle revendique. Notamment l’attestation d’attribution définitive, les documents de vente entre la société Ruzizi et les sociétés internationales, etc.

Au sujet du sort du lycée Maranatha de Kivoga construit dans le périmètre litigieux, il préconise de revoir la superficie de la propriété de cet établissement. Une copie du certificat d’enregistrement de cette propriété fait état de 50 ha. Pour rappel, le lycée Maranatha de Kivoga a débuté avec l’année scolaire 1964-1965.

Il y aurait eu dans les années 1960 un contrat de vente entre la mission évangélique des adventistes et la société Ruzizi. La CNTB le conteste. Dans le même rapport, le président de cette commission rappelle qu’une propriété destinée à l’exploitation ne peut pas être cédée.

Les familles ne comptent pas lâcher

En outre, le président de la CNTB relève des doutes au sujet de la considération des plaintes de la population par la CNTB sous l’Abbé Kana. Néanmoins, dit-il, leur effectif toujours grandissant n’a pas permis à la CNTB de les écouter un à un. Il demandait aux concernés de présenter au cas par cas les plaintes aux «institutions de l’Etat». Elles sont 109 familles au début de l’affaire et plus de 430 lors du rapport de la CNTB en avril 2014.

Le lycée Maranatha de Kivoga garde le droit d’exploitation de 50 ha 16a.

Le 27 mai 2014, Mgr Bambonanire écrit au ministre de l’eau, de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et de l’Urbanisme, pour lui demander de récupérer une propriété occupée, d’après lui, illégalement. «Le terrain en question appartient bel et bien à l’Etat. Ni la société Ruzizi ni les populations environnantes ne peuvent prétendre y avoir un droit quelconque de propriété. »

A la suite de ces recommandations, les 431 familles confient en décembre 2014 leur dossier à la Cour spéciale des terres et autres biens. Elles portent plainte contre la société Ruzizi et celle-ci contre l’Etat. La cour déboute le 28 mai 2018 les familles et la société Ruzizi en faveur de l’Etat.

Après cette sentence, les 431 familles interjettent appel contre la société Ruzizi au sein de cette juridiction et la société Ruzizi contre l’Etat. Entre-temps, Savonor, entreprise de transformation d’huile de palme, intervient dans l’affaire pour faire valoir ses intérêts. Elle est liée depuis 2008 à la société Ruzizi par un contrat de location des 458 ha.

Le contrat avec Savonor transféré à l’Etat

La cour rendra le même verdict le 25 janvier dernier. 770 ha retournent dans le domaine de l’Etat. Ainsi, les 431 familles et la société Ruzizi sont déboutées. Les premières n’ont aucun papier d’appartenance.

Pour la seconde, la cour avance l’inexistence de la société depuis 1994. Les statuts de 1964 lui accordent une période d’existence de 30 ans. De son côté, la société Ruzizi fait valoir le changement des statuts en 1982 suite à l’acquisition d’une partie des actions par l’Etat et ceux de 1999 à la suite de l’achat de toutes les actions en 1996. Quant à la mission adventiste du 7ème, elle a droit à l’exploitation d’un terrain de 50ha 16a.

Le contrat de location liant la société Ruzizi à la société Savonor, est aussi transférée à l’Etat. Un délai de trois mois est accordé à la société Ruzizi pour cesser d’exercer quoi que ce soit dans la propriété.
L’avocat des 431 familles déboutées fait savoir que ses clients envisagent de solliciter l’intervention de la ministre de la Justice. En raison de la teneur des plaintes, elle peut ou non ordonner la révision du dossier.

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Des questions sans réponses

Cette affaire comporte nombre d’incohérences dans les décisions d’une même commission. La CNTB sous l’Abbé Kana reconnaît l’authenticité des titres fonciers de la société Ruzizi. Ainsi, elle lui attribue la propriété. Toutefois, deux ans plus tard, son successeur Mgr Sérapion Bambonanire remet en cause ces documents. Il argue le manque de documents originaux au service des titres fonciers. Si la propriété appartient à l’Etat, la société Ruzizi l’exploitait donc illégalement, depuis plus de 20 ans. Pourquoi alors les différents pouvoirs l’ont laissé tranquille ? Le refus de l’application de la décision de la CNTB de juin 2009, comme le demandait le chef de cabinet civil du président de la République, interroge. Par ailleurs, l’exécution des décisions de cette commission est supposée être obligatoire. Quid de la propriété de la mission évangélique des adventistes ? La cour lui reconnaît le droit d’exploitation de 50ha16a. Autrement dit, elle conteste implicitement le contrat de vente entre la société Ruzizi et la mission adventiste du 7e jour. Pourtant, l’Eglise, comme la société Ruzizi, parle d’une vente. Ainsi, cette dernière a-t-elle cédé une propriété qui ne lui appartenait pas ? Une autre question mérite d’être posée. Comment plus de 430 familles se sont-elles constituées si elles ne partagent pas vraiment des intérêts ? Le verdict de la Cour spéciale des terres et autres biens ne marque pas la fin du feuilleton judiciaire commencé depuis 12 ans. Ni la société Ruzizi et les 431 familles déboutées, ni la mission adventiste du 7è jour gardant les droits d’exploitation ne vont désarmer.

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