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Les Burundais, ballotés entre « mémoire » et « histoire ». Qui croire, qu’écrire?

18/06/2011 Commentaires fermés sur Les Burundais, ballotés entre « mémoire » et « histoire ». Qui croire, qu’écrire?

Il y a une semaine jour pour jour, le Samandari accueillait un débat animé par l’historienne française Chritsine Deslaurier. Il était question de « mémoire », « histoire »… Intéressant.

Pendant deux heures, deux intervenants abordent la question de l’histoire face aux mémoires, dans la droite prolongation de la conférence donnée à l’IFB par quatre historiens sur l’écriture de l’histoire.

Ce qu’avait tenté de montrer, et réussite, Jean Pierre Chrétien, Alexandre Hatungamana, Jean-Marie Nduwayo et Christine Deslaurier, ce que l’histoire ne s’écrit pas seulement par les seuls témoignage. Il y a des archives, une méthodologie, des recoupements, un doute qui habite l’historien qui ne saurait se tenir à la seule richesses des nos mémoires qui oublient, qui rajoutent, qui omettent, qui déforment ou qui choisissent ce dont il faut se souvenir.

En 2012, ce sont les 50 ans d’indépendance du pays et les 40 ans après 1972. En 2013, ce sera 25 ans après Ntega et Marangara de 1988, et 20 ans de commémoration de l’assassinat de Ndadaye… Des moments forts, où les mémoires sont plus en éveil. Avec la Commission Vérité et Réconciliation, tout le monde attend des réponses sur « ce qui s’est passé ».
Dans cette énième session du café-littéraire Samandari, Roland Rugero, journaliste à Iwacu et animateur du Samandari lance le débat en posant une question mille fois entendues : comment établir le rapport entre nos expériences individuelles et la réalité historique telle qu’elle est écrite, telle qu’elle est transmise, telle qu’elle est vécue et véhiculée ? Face à l’interpellation, Christine Deslaurier, historienne, chercheur à l’IRD (Institut de recherche pour le développement).

Et d’abord Fidèle Ingiyimbere, jésuite, doctorant en philosophie aux États-Unis, qui vient de publier dans la revue Éthique et Société, un intéressant article intitulé {De l’écriture de l’Histoire à la justice aux vaincus : méditation sur l’histoire} avec Walter Benjamin.

Le père Fidèle y rappelle que l’écriture de l’histoire est toujours motivée, parfois idéologique car « il y a toujours une raison dans le choix d’écrire ce qui s’est passé », avant de souligner avec énergie que « l’on ne peut pas savoir avec exactitude ce qui s’est passé ».

En effet, comme s’inspirant de la réflexion du penseur allemand d’origine juive, Walter Benjamin, « à travers les temps, l’histoire transmise est celle des vainqueurs ». Or selon le père Fidèle, il existe aussi les vaincus, ceux qui ne parlent plus, qui ne parleront plus jamais, morts, les oubliés : « N’ayons jamais la prétention d’écrire leur histoire car ils ne seront plus jamais là pour livrer leur mémoire! », souligne le père Ingiyimbere, selon lequel les historiens interprètent mais ne décrivent pas l’histoire tel qu’elle s’est passée…

Une histoire… des mémoires

Le Dr Deslaurier s’exprime à son tour, dans un propos moins dogmatique mais abondant dans le même sens : « Confronté au souvenir et aux différentes mémoires, l’historien va plus loin que le souvenir et les récits : il essaie de percer les lacunes des mémoires, travaille avec les témoignages, des archives, des traces matérielles avec une méthode scientifique, pour en donner une interprétation qui soit la plus plausible ».

Lors du débat, Christine Deslaurier reviendra sur une ‘vieille polémique’, l’idée qu’il y aurait « une école franco-burundaise avec à sa tête Jean Pierre Chrétien et qui a falsifié l’histoire du Burundi au profit des Tutsi ».

Et d’abord, l’histoire du Burundi ne se résume pas à la dichotomie Hutu/Tutsi : c’est aussi l’histoire des plantes vivrières (les tomates, pommes de terre et autres cannes à sucre), du peuplement, des marchands de sel, …

Sans prendre la défense de son ancien professeur, Deslaurier rappelle simplement, sous forme d’exhortation, que « pour prétendre comprendre Jean Pierre Chrétien, il faut au minimum commencer par lire au moins la moitié de ses 25 livres et plus de 380 articles parus dans les revues scientifiques et éditions »…

Sur une question d’un des participants au Samandari qui l’interrogeait sur la validité historique d’ouvrages tels que {Le Burundi, Face à la Croix et à la Bannière} du prince Charles Baranyanka, l’historienne invitera les participants à plus de prudence : « Tous ceux qui écrivent des témoignages sur le passé ne sont pas historiens ».

D’où l’introduction d’une notion très importante en histoire : « Beaucoup de Burundais qui publient sur l’histoire sont des témoins ‘situés’ : d’une manière ou d’une autre, ils sont acteurs de cette histoire même qu’ils tentent de décrire et d’analyser. Il faut donc lire leurs productions comme telles ».

Avons-nous le devoir de mémoire ou d’histoire ? « Les deux », répondent Christine Deslaurier et le père Fidèle Ingiyimbere. Avec une certitude : « L’Histoire est une : ne vous attendez pas à ce que la Commission Vérité et Réconciliation écrive une autre histoire que ce qui s’est passé », tempèrera Deslaurier.

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