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L’après « 11/12 », un chemin de croix

29/12/2015 10

Une dizaine de jours après la répression dont ont fait objet Nyakabiga et Musaga, une chape de plomb semble avoir enveloppé ces quartiers. S’ils n’ont pas déserté les lieux, certains jeunes vivent désormais en cachette, d’autres veulent résister.

Anicet,  dernier rescapé d’une famille entière ayant péri en 1993, a été assassiné chez lui.
Anicet, dernier rescapé d’une famille entière ayant péri en 1993, a été assassiné chez lui.

Nyakabiga I. Plus de ‘‘ligala’’ bruyants sur les bords des routes ou devant les devantures des boutiques. Seulement quelques enfants en train de jouer dans les pavés des avenues, sous la surveillance d’une nounou, ou plutôt, cette dernière surveillant les entrées du quartier. Rien ne semble indiquer là-bas des vacances scolaires. « Voir un jeune en train de flâner est devenu tout simplement un spectacle martien », fait remarquer un homme d’un certain âge à la 15ème avenue Nyakabiga II.

ÀMusaga, idem.Il suffit de passer dans les quartiers pour s’en rendre compte. À midi, la circulation est très timide, tant sur la route principale de Musaga qu’à l’intérieur des quartiers. La 13ème avenue est complètement déserte. Aucune personne en vue. Les portails sont fermés.

Le territoire compris entre l’avenue de l’Imprimerie et la 9ème avenue dans Nyakabiga I a été le plus touché dans les tueries du 11 décembre. « Rien qu’ici, on a découvert au moins une vingtaine de jeunes assassinés», selon une jeune mère rencontrée sur les lieux. Sur le pavé de démarcation entre Nyakabiga I et II, au niveau de la 16ème avenue, les passants jettent des regards contritsvers une petite porte en fer cadenassée, mais présentant des traces de coups : la demeure d’un jeune homme assassiné dans sa petite chambrette, Anicet. « Et c’était ledernier rescapé d’une famille entière ayant péri en 1993 », confie la jeune mère, larmes aux yeux.

L’exil comme ultime moyen de survie

Les maisons habitées dans la partie ayant servi de champ de bataille à Nyakabiga se comptent sur le bout des doigts. Deux jours après les tueries, nous raconte un habitant du quartier, ceux qui en avaient les moyens ont plié bagages, laissant leurs habitations à des gardiens, ou parfois carrément inoccupées.

Même constat à Kinanira. L’on croirait que c’est un quartier beaucoup moins peuplé avant de comprendre que beaucoup ont fui : à la 12e avenue, près du pont séparant Kinanira et Kanyosha, une maison qui abritait sept jeunes avant le 11 décembre est aujourd’hui vide. Ces derniers ont fait leurs valises deux jours après l’attaque. Ils ne sont pas, jusqu’ici, revenus. Plusieurs autres ménages ont fui après cette attaque selon les témoignages du voisinage.

Après ce vendredi noir, révèle un des quelques jeunes rencontrés à Nyakabiga, deux fouilles-perquisitions et sept arrestations ont déjà eu lieu. Un des jeunes arrêtés, un étudiant à l’Université Hope surnommé Priva, aurait été retrouvé à Mutanga nord, sans les deux bras et une jambe en moins, selon un ami de la victime. De ce fait, à Nyakabiga comme à Musaga, les jeunes ont pris le chemin de l’exil, certains pour des destinations connues, d’autres pour des destinations inconnues.

L’économie au point mort

Les bistrots vandalisés et pillés sur l’avenue de l’Imprimerie le 11 décembre ont fermé.
Les bistrots vandalisés et pillés sur l’avenue de l’Imprimerie le 11 décembre ont fermé.

Les quelques commerces encore fonctionnels à Nyakabiga se sont réduits comme peau de chagrin après le 11 décembre. Les étudiants de l’Université du Burundi limitent désormais leurs mouvements en dehors des enceintes du campus. « On a peur d’être confondus aux jeunes de Nyakabiga et d’être arrêtés », explique un d’eux. Par conséquent, plus de fumée sur les toits des petits restaurants d’à côté, car la majorité des clients des restaurants du quartier étaient ces mêmes étudiants.

Quant à l’avenue de l’Imprimerie, elle tend à mériter son surnom, « avenue de la Mort ». Trois cadavres y ont été découverts le 11 décembre, et depuis, plus aucun commerce n’est ouvert à partir du quartier Jabe, et tous les bars donnant sur l’axe sont fermés. « Ces bistrots ont été vandalisés et pillés par des policiers le 11 décembre », assure Yorick, un jeune de Jabe. Et au-delà de 18h, aucune circulation sur cet axe, même les chats en ont une peur bleue maintenant, ajoute le jeune homme.

À la 13ème avenue de Musaga, se tient un bar, « chez Clément », naguère très prisé par les jeunes de Kinanira, Kanyosha, etc. Aujourd’hui, il est fermé. Les jeunes n’ont plus le temps de se détendre devant un verre. À quoi d’autre pourraient-ils s’occuper, ces derniers temps, si ce n’est qu’au jeu de cache-cache avec la police !, confiera un des jeunes fans de ce cabaret.

La psychose du ‘‘retour’’

V.N, 25 ans, habitant de Musaga, est devenu chômeur malgré lui.Manger et dormir sont désormais sa routine. Il a été contraint d’abandonner son travail pour ne pas s’exposer à ceux qui veulent sa mort. Il ne sort que quand il commence à faire noir,et très rarement. Ses parents sont au bord de la folie. L’un de ses parents confie qu’il devrait coûte que coûte quitter le quartier.

B.M, un autre jeune de Musaga, mène une vie atypique.Contrairement à V.N qui passe toute la journée enfermé entre quatre murs, B.M doit quitter la maison à l’aube pour rentrer tard, dans la soirée. « Ce qui fait mal, c’est qu’on nous accuse injustement de connaître les rebelles», regrette-t-il.

Ce jeune homme déplore le fait qu’ils n’ont même pas eu le droit d’aller enterrer les leurs qui ont péri ce jour-là. « Du moins ceux qui ne sont pas enterrés dans les fosses communes», ajoute-t-il, choqué. Il affirme à cet égard que lorsqu’ils étaient, il y a quelques jours, à la Cathédrale dans une messe de requiem, ils y ont croisé D.U., un policier tristement célèbre chez ces jeunes : « Nous avons tout de suite rebroussé chemin. »

‘‘Le quartier ou la mort !’’

Si certains jeunes ont pris la poudre d’escampette, d’autres ont décidé de rester dans leurs quartiers. Selon eux, « fuir serait satisfaire ceux qui nous tuent, car ils veulent à tout prix nous voir partir. » Ceux-là sont les irréductibles, qui parlent laconiquement, une flamme inquiétante dans le regard.Un d’eux juge que fuir n’arrangera rien. « On sait qu’on sera traqué partout où on ira », déclare-t-il. Pour lui, la seule option envisageable est de rester dans le quartier et de se défendre par tous les moyens.

À Nyakabiga, les jeunes à ruminer une colère froide sont légion. «S’ils revenaient et me privaient encore d’un ami, je prends les armes », tranche un étudiant.Curieusement, ce raisonnement se fait remarquer dans les jeunes de toutes les ethnies. « Malgré tous les efforts pour nous diviser, on reste uni, car des hutu et des tutsi ont péri le 11 décembre », fait savoir un d’eux. Ces rescapés de la répression « sévère » du 11 décembre parlent tout simplement d’un nouveau crime propre au Burundi: « être jeune.»

Et dans les autres quartiers dits contestataires qui n’ont pas été touchés ce vendredi-là, une terreur insidieuse règne. « Avant, certains jeunes pouvaient se sentir plus en sécurité car n’ayant pas participé dans les manifestations », confie Rémy, un jeune de Ngagara. Et d’ajouter: « Mais 12/12 nous a prouvé que tout le monde est visé maintenant, particulièrement les jeunes.» Dans ce quartier, les jeunes qui n’ont pas encore fui attendent, certains la peur au ventre, d’autres décidés, que leur tour arrive, « ou que la MAPROBU débarque ».

Forum des lecteurs d'Iwacu

10 réactions
  1. Mbwire-Gito-Canje

    Messieurs et mesdames de la rédaction:

    Votre travail journalistique a montré clairement que ce que les agents sous les ordres de Nkurunziza ont fait le 11/12 est un massacre. Veuillez cesser les euphémismes, et nommez le crime. A ce jour les massacres des citoyens hutu en 1972 et 1973 sont encore qualifiés de répression. Cet euphémisme est inacceptable, au même degré que ce que vous appelez la répression du 11/12.! Même si vous decidez de ne pas publier ce commentaire, pensez à ceci au sein de la rédaction: réduire la gravité des crimes dans les publications contribue a leur banalisation; ça encourage la répetition de l’histoire!

  2. Nijebariko

    A Prosper,
    If one does not « praise » Nkurunziza as the a chosen by God like that Tutsie lady member of parliament from Buja rural, you are always described as partial. Ok, that is fine, it is Bujumbura’s dictactorship,a different opinion is never allowed! Silence, we kill and no one is to mention it.
    How human are you… »I liked one sentence that both tribes lost their lives 11/12″…. Really, you liked that? These are Burundians children who lost their lives, yet you like it!!! How terrible to « like » that ? Hoping that by tribe you meant ethnic group, from my side, I regret each life lost. So young they were! Most of those killed were young boys, simple civilians, who have nothing to do with the Sindumuja group. Their fault: to be in the wrong place at the wrong moment. One of them lived in Kanyosha, he was on his way to Musaga and was shot in the middle of the road, just after crossing the Kanyosha river.

    • BUSORONGO

      Rata ibiziga ngirango urunguka ikintu.
      Reka kumenyera amaraso, ibiziga, nibindi bibi nkivyo.
      Ikingire ukingire nabawe.
      Nta ntwaro nimwe izogupfunya wewe utayihaye uburyo.
      Niba wumva ko ufise inguvu uzosanga iyo ntwaro nayo izifise.
      Ariko intwaro nta humilite zigira.
      Nimuze twicishe bugufi vyose bizokunda.

  3. roza kamikazi

    barababwiye ko muzopkwiha ubuki canke mugahunga mudashaka kwemera pita.

  4. BUSORONGO

    « …dans la partie ayant servi de champ de bataille à Nyakabiga… »
    « …l’avenue de l’Imprimerie, elle tend à mériter son surnom, « avenue de la Mort » »
    « « Ce qui fait mal, c’est qu’on nous accuse injustement de connaître les rebelles» »
    « …rester dans le quartier et de se défendre par tous les moyens. »
    « …« ou que la MAPROBU débarque ». »
    Serieusement sans se tromper mutuellement qui gagne dans tout cela? Le mouvement halte au 3 eme mandat nous a montrer combien il est organise.
    Est ce que existe-t-il un seul burundais qui fait confience en un autre burundais?
    S’il y en a pourquoi alors chacun veut etre au sommet? Pourquoi devons nous avoir la premier place et 100 pourcent de ce que nous voulons?
    Reconnaissons qu’il n y aura pas un Burundi des uns et un autre pour les autres. Meme entre frere et soeur de meme pere et meme mere il y a des soublesots mais ils restent unis. Pourquoi nous ne pouvons pas nous entendre entre nous sans les moqueries des mediateurs et bailleurs de fonds?
    Quand on se moque des opposants les pro pouvoir se voient aux anges et vice versa!!! On est devenu fout ou quoi? quand on se moque de mon adversaire-partenaire c’est qu’on se moque de moi car nous finirons ensemble sans le mediateur. Notons bien que les mediteurs, force d’intervention et autres communaute internationale sont les vrais profitteurs gagnants de nos conflits une fois etales a la place internationale.

  5. Prosper

    Mr and Miss Journalist. Thank you for a well written article. I liked one sentence that both tribes lost their lives 11/12. you use very strong words in your article :  » tueri , repression  » which shows your partiality. All the wars against Burundi people ( Hutu twa Tutsi ) have been defeated. The propaganda war is on the verge of being defeated as well. All young people, shun those politicians inciting you to violence. They have their kids in Europe and lure you into suicide. Please be awake.

    • natacha

      How sure are you that this journalist understands english? If not why would pass a message that is likely not be understood?

    • Marie Claire

      I do not agree with you Mr prosper. These journalists who wrote the blogs are impartial. Today in Burundi if you are a young person even if you have not protested the third mandate of Nkurunziza, you’re target of death. It is very pity because these young people are the future of Burundi.

    • RUGAMBA RUTAGANZWA

      @Prosper,

      According to you, we should keep quiet and let Nkurunziza violate our constitution, the Arusha Peace Agreement etc…? It is true and we have evidence that since April 2015, NKURUNZIZA regime has either tortured or killed hundreds of innocents, especially among the youth because they are or suspected to be protestors against his illegal third term. I’m sure that one day, Nkurunziza and his followers will be accountable of their acts. In our country no one should be above the law. Let us wait and see…!

      • Prosper

        @Rugamba Rutaganzwa. According to me, you should tell the truth, demonstrate facts instead of theories.
        You should condemn the ones burning people alive, you should condemn the ones inciting young people to violence , I have evidences that most of those who perished 11/12 were fighting the national army. An army 50 % Hutu 50% Tutsi.
        Stop using third term as a pretext. Last year’s Cibitoke attack happened even before the election period starts.

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