Jeudi 28 mars 2024

Politique

La mauvaise gouvernance rétrécit le Burundi: la gestion foncière dans tous ses états

26/02/2014 3

Sous l’immensité d’un ciel généreux en soleils rayonnants et pluies bénies, la terre du Burundi, émiettée, épuisée, pleure sa finitude. A nourrir chaque jour dix millions de bouches, elle se vide de son suc. Pour faire place et donner pitance aux six enfants en moyenne qui naissent de chaque femme burundaise, cette terre se coupe en quatre. C’est même peu dire : elle se coupe en milliers d’exploitations de 0,50 hectare de moyenne. Dans à peine un peu plus de deux décennies, elle devra loger et nourrir le double de ses pensionnaires actuels. Rien que ça ! En attendant que les têtes qui gouvernent y pensent, sur le terrain, les gouvernés y vont de leurs besoins, de plus en plus aigus et de leurs moyens, de plus en plus ténus : disputes, violences et plaintes foncières, chacun devant l’instance qu’il croit la plus accommodante.-Par Louis-Marie Nindorera, Chef de mission de Global Rights

Des gouverneurs  de provinces et administrateurs  communaux  dans une réunion  tenue à Gitega  pour  changer  sur la mise en  application du nouveau code  foncier.©Iwacu
Des gouverneurs de provinces et administrateurs communaux
dans une réunion tenue à Gitega pour changer sur la mise en application du nouveau code foncier.©Iwacu

L’année 2013 a résonné fort des conflits fonciers. Le retentissement médiatico-politique des conflits logés à la Commission Nationale des Terres et Autres Biens (CNTB) a détourné les regards d’une multitude de problèmes et d’enjeux fonciers largement méconnus. Avec la promulgation récente d’un nouveau code foncier et la mise en place d’une « commission foncière nationale », la bombe foncière est-elle enfin en cours de désamorçage ?

Services et certificats fonciers : en attendant le bénéfice économique

Depuis le 9 août 2011, le Burundi s’est doté d’un nouveau code foncier. Parti entre autres du postulat que les conflits sur la terre prolifèrent par la précarité du mode coutumier d’enregistrement des droits fonciers, ce code a ouvert la voie à la création de services fonciers au niveau des communes, pour raccourcir les distances et alléger la charge financière des Burundais ralliés à la nécessité de sécuriser leurs droits par l’acquisition à faible coût d’un « certificat ». 26 communes du Burundi sur 129 se sont dotées d’un service foncier. En 2013, environ 12.000 certificats ont été émis et retirés dans 9 de ces 26 communes.

Des entretiens menés auprès des populations y résidant ont montré que la délivrance de ces certificats a contribué à la forte perception que les conflits ont sensiblement réduit. Mais les subventions étrangères reçues pour appuyer le fonctionnement de ces services fonciers posent avec acuité le problème de leur autofinancement, auquel sont déjà crûment confrontées quelques communes sevrées de cette aide. D’autres réalités hypothèquent l’avenir de cette innovation. La demande croissante de certificats dépasse de plus en plus la capacité de l’offre.

Les femmes – entendez : plus de la moitié de la population burundaise – arrivent, comme souvent, en laissées-pour-compte de ces services. Au-delà de la sécurité juridique recherchée dans leur acquisition, les nouveaux « certificats fonciers » opèrent dans quelques communes en leviers d’accès au crédit financier. Une étude en cours de finalisation, menée dans 8 communes réparties sur 5 provinces a établi que deux instituts de microcrédit avaient octroyé à 59 détenteurs de certificats des crédits à hauteur totale de 82.170.000 Francs Bu. Bien qu’encourageants, ces faits ne dissimulent pas le refus obstiné de plusieurs institutions de microcrédit à accepter le certificat foncier comme valeur hypothécable. Par ailleurs, l’effectif et la proportion des Burundais bénéficiant de ces services fonciers demeurent encore infinitésimaux.

Le patrimoine domanial : bientôt un vestige du passé ?

Le site Gatunguru où sera érigé le palais présidentiel. La population réclame toujours des indemnités.©Iwacu
Le site Gatunguru où sera érigé le palais présidentiel. La population réclame toujours des indemnités.©Iwacu

Tandis que la décentralisation et la certification foncières pourraient à long terme marquer les territoires appropriés par les individus, le domaine foncier de l’Etat, lui, demeure assez largement inconnu. Un inventaire vieux de 12 ans estimait à 141.445 hectares l’étendue des terres domaniales encore libres et habitables. Ce n’est même pas la superficie de la petite province de Karusi. C’est un compte suffisamment nécrologique et persuasif pour ruer les professionnels et vétérans de la prédation foncière sur le dépeçage et le partage sauvage et inégal des dernières bandes de terres. Qui fait barrage ? La « commission foncière nationale » ? Actuellement composée de 13 membres, elle a été instituée par le nouveau code foncier et nommée en avril 2012 pour vérifier et plier à son avis préalable les actes des autorités compétentes pour céder, concéder des terres domaniales ou exproprier des terres sous propriété privée. Début novembre 2013, cette commission avait déjà eu à traiter 120 dossiers, tous concernant des demandes de cessions ou concessions domaniales, émanant presque toujours de services publics. C’est bien là une indication qu’une pratique positive et nouvelle se met timidement en place dans ces services : celle de la demande d’acquisition d’une terre domaniale auprès d’un service unique (le Ministère de l’Aménagement du territoire, qui saisit la Commission) puis de l’analyse technique et de l’avis préalable obligatoire par un mécanisme collégial de décision. Cependant, la réalité, observée notamment par une « Synergie des Organisations de la société civile sur les Questions foncières », est que tout au long des années 2012 et 2013, au su ou à l’insu du Ministère et de la Commission, des centaines de parcelles ont continué à être distribuées par des responsables sans compétence en la matière. Des dizaines d’expropriation pour cause présumée d’utilité publique ont été décidées et exécutées sans qu’aucune demande d’autorisation et d’avis préalable n’ait atterri sur la table du Ministère ou de la Commission et sans qu’aucune compensation juste et préalable n’ait été versée. Alarmés par la dérive persistante des pratiques publiques de gestion foncière, le Ministère de l’Aménagement du territoire et la Commission foncière ont réuni en novembre et en décembre 2013 à Gitega près de 300 gouverneurs, administrateurs communaux, présidents de conseils communaux et hauts cadres de ministères pour un rappel à l’ordre. Il faudra sans doute plus qu’un simple rappel à l’ordre pour repousser au loin l’échéance, aujourd’hui imminente, de l’extinction totale du patrimoine domanial libre. Les mesures tardent. Confiné dans un domaine de plus en plus exigu, l’Etat peine à trouver les espaces toujours plus grands requis par les besoins croissants du développement économique, par la demande en terres cultivables et en logements d’une population plus féconde que la terre qu’elle laboure jusqu’aux accotements de chaussées. C’est sous la pression des besoins publics et, sans doute d’intérêts privés, que l’Etat, sans faire efficacement halte à la dilapidation de son patrimoine domanial, lorgne sur l’alternative légitime de la « récupération des terres irrégulièrement attribuées ». Un rapport élaboré par la CNTB et publié en août 2010 par le Ministère de l’Aménagement du Territoire estimait à 6.628,7862 ha la superficie des terres domaniales irrégulièrement attribuées dans 12 provinces. Par l’odeur alléché et sans se faire prier, ça et là des responsables publics, souvent sans compétence reconnue par la loi, se précipitent sur les terres désignées, forçant leur récupération, sans même que leur destination ne soit placée sous contrôle central de l’Etat, pour éviter qu’elles ne refassent de nouveaux « propriétaires irréguliers », de nouvelles seigneuries ! Contre tout bon sens, cette mission d’identification des terres domaniales irrégulièrement attribuées a été confiée à la CNTB, alors qu’en janvier 2012, en application du code foncier, un décret présidentiel mit sur pied une Commission Foncière Nationale, précisément mandatée pour épauler le Gouvernement dans ses missions traditionnelles de gestion du patrimoine domanial.  

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. mpebetwenge

    La vraie question est le planning familial (qui peut limiter l’explosion démographique).
    L’ émiettement des terres n’est qu’un corollaire.
    Naho mwozana imana, nta nyishu muzotora mudafashije nos pauvres frères et sœurs paysans a limiter les naissances.
    Mbega mwebwe mwagiye mw’ishule ko muvyara abana babiri canke batatu gusa?
    Ouvrez les yeux, ayez une vision que diable (J allais dire bande de crétins)!!!!!!!!!!!
    Quelqu’un qui a moins d’un hectare a-t-il le droit (ou le pouvoir , c’est selon) de faire 10 enfants? Peut-il humainement les éduquer? Bakuze bazoca baja hehe? bazoba hehe?

    Nti gira amahoro

  2. MNF

    Merci au journal Iwacu d`avoir affiché mon Commentaire sur LE VERROUILLAGE DE L`ESPACE DEMOCRATIQUE, et je me réjouit qu`il y ait des intrnautes qui l`ont lu et approuvé.
    S`agissant des problèmes de TERRES au BURUNDI, la solution n`est pas pour un proche avenir, il faudra beaucoup pentienter.
    Je conseille aux Dirigeants actuels et ceux à venir de se comporter comme des humains responsables au lieux de se comporter comme des Dieux.
    Je ne comprends pas comment une personnes normale peut mener une étude d`extension d`une ville sans tenir compte des règles de protections des terres fertiles dans un pays comme le Burundi où plus de 90 % de la population ne vivent que de l`agriculture.
    Je ne peux pas comprendre pourquoi les méthodes de Planning familial sont vilgarisées timidement comme si le problème de surpopulation ne nous concerne pas tous!
    Je ne peux pas comprendre comment un pays qui se dit Indépendant cherche toujours à ce que presque tous les programmes prioritaires, garant de l`Idépendance, soient finacés par le monde extérieur!
    A mon avis, le problème de terres au Burundi nous interpelle tous, il faut changer de mentalité: apprendre à travailller ensemble; que tous les membres de chaque Famille exploite rationnellement la proprieté familiale ensemble au lieu de la morceller, que le Gouvernement encandre adéquatement les exploitants familiaux qui acceptent de travailler ensemble; que le Gouvernement trouve d`urgence une politique clé afin de limiter les conflits fonciers actuels au sein des Familles. Mu kirundi barayamaze bati : ureka kugarura impene ikiri hafi yamara kurenga umutumba ukabira nkayo.
    Je conseille aux Dirigeants de precher par l`exemple en gérant le peux de terres encore disponibles d`une façon rationnelle, de cesser l`extension des villes sur des terres fertiles, d`encadrer la population par une sensibilisation axée la valeur familiale et l`entraide.
    Je garde l`espoir que le problème de terres au Burundi pourrait trouver une solution durable si les gens acceptaient de mener une vie simple dans le respect des valeurs familliales ancestrales.
    Merci beaucoup, bonne lecture.

  3. Barekebavuge

    Très bonne analyse du sombre tableau dans le paysage foncier de notre pays. Je risque de croire que la terre doit appartenir à ceux qui l’exploitent directement pour nourrir et loger les nécessiteux. Les dignitaires devenus des prédateurs impitoyables du patrimoine foncier devront un jour être dépossédés car tout révèle que beaucoup de leurs nouvelles richesses font partie des biens mal acquis.

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