Vendredi 19 avril 2024

Politique

Kizingwe-Bihara : les militants de l’opposition en ligne de mire

Kizingwe-Bihara : les militants de l’opposition en ligne de mire
Allongé sur son lit d’hôpital, Gaspard Nzobakenga accuse huit Imbonerakure du quartier Kizingwe Bihara.
24/04/2018 Commentaires fermés sur Kizingwe-Bihara : les militants de l’opposition en ligne de mire

La peur règne dans le quartier Kizingwe Bihara, surtout chez les militants des partis de l’opposition. La cause est le passage à tabac de trois fidèles pro-Rwasa et un député de la Coalition Amizero y’Abarundi, Bernard Ndayisenga, dans la matinée du vendredi 18 avril, par des Imbonerakure de cette localité. « Des informations circulent qu’au moins sept militants d’Amizero y’Abarundi seront tués avant la tenue du référendum constitutionnel. Cela nous fait très peur», confie un sympathisant d’Agathon Rwasa du quartier Kizingwe Bihara. D’après ces militants, on les accuse d’enseigner le «non» pour le référendum. «Ils nous traitent d’ibipinga (récalcitrants Ndlr). Ils disent qu’ils vont nous remettre sur le droit chemin.»

Tout commence dans la nuit de jeudi 17 avril. «Des Imbonerakure sont venus me réveiller à une heure du matin pour faire la ronde nocturne quotidienne. Je n’ai pas voulu ouvrir car les heures étaient avancées. En partant, ces Imbonerakure ont brisé la vitre de ma maison avec des machettes», raconte Félicien Nimbona alias Sugutora, un sympathisant de Rwasa. Accompagné du chargé de l’idéologie et propagande au sein de cette formation politique, Gaspard Nzobakenga, il est allé se plaindre chez le chef de cellule, un certain Cyprien Minani.

Le passage à tabac

Un autre Imbonerakure du nom d’Augustin Ntamakuriro était présent. «Augustin a appelé d’autres Imbonerakure qui sont venus avec des bâtons. Ils se sont retirés dans la maison du chef de cellule. Quand Sugutora est allé demander ce qui se passe, ils ont commencé à le tabasser sérieusement», indique un habitant de Kizingwe.

Le diagnostic du médecin parle d’un syndrome algique au niveau lombaire et des hanches.

Il appelle au secours. Gaspard Nzobakenga accourt et réussit à l’arracher des mains de ces hommes. Dans la foulée, il téléphone au représentant de la Coalition Amizero y’Abarundi dans le quartier Kizingwe Bihara, Rémy Havyarimana. Ce dernier alerte le député Bernard Ndayisenga. Cela n’a pas du tout plu à ces Imbonerakure. Ils commencent à s’en prendre au lanceur d’alerte.

Haletant sur son lit d’hôpital, en pleurs, Gaspard Nzobakenga raconte sa mésaventure : «Ils ont commencé à me battre avec des gourdins devant le chef de cellule. Ma femme, ma mère et les voisins étaient présents.» Ils lui disaient de quitter la coalition Amizero y’Abarundi et de ne plus suivre Agathon Rwasa, selon les témoins. «Je me suis prosterné devant eux pour qu’ils le laissent, mais ils n’ont pas voulu m’entendre», se souvient la mère de la victime, en pleurs. «Ils étaient déchaînés. Sans la présence massive des gens, ils allaient le tuer», indiquent les témoins.

Ces mêmes témoins rapportent que ces Imbonerakure ont reçu un coup de fil du chef de quartier leur intimant l’ordre de l’amener là où il était. «Le chef de quartier le narguait que personne n’est venu le sauver et que personne ne viendra. Il lui disait qu’il a moins de valeur qu’un chat», raconte un témoin. «Ils ont continué à le battre devant le chef de quartier», ajoute un autre. «Je les ai même suppliés de l’achever. Je ne pouvais plus supporter ses souffrances », reconnaît sa mère en redoublant de pleurs.

La victime indique qu’il a été sauvé par un dénommé Ndetu, chef des Imbonerakure du quartier Kizingwe Bihara. «Alors que les autres étaient en train de discuter sur mon sort, il m’a dit de partir. Je le remercie beaucoup car si je suis encore en vie, c’est grâce à lui.»

Au tour du député

Gaspard Nzobakenga essaie de se lever pour partir, il en est incapable. Sa famille et des amis l’aident. Entre-temps, Rémy Havyarimana arrive avec une voiture pour l’évacuer. La situation se corse encore plus. «Ils ont pris des cailloux pour caillasser sa voiture. Ils voulaient extirper Gaspard de la voiture», confient des témoins. Rémy Havyarimana est lui aussi tabassé. Le député Bernard Ndayisenga arrive à son tour pour s’enquérir de la situation. Il est, lui aussi, pris à partie. «Ils l’ont agrippé à la gorge en le traitant de chien. Ils l’ont tabassé avant de confisquer ses téléphones portables.»

Gaspard Nzobakenga sera évacué dans un établissement de Médecins Sans Frontières. Aujourd’hui, il souffre au niveau du bassin et des jambes. «Je ne peux pas m’asseoir. Je dois rester allongé ». Pour faire ses besoins, sa femme lui procure un pot. «Comme on le fait pour un enfant. Ça me fait mal au cœur», déplore sa maman, les larmes aux yeux.

Cet homme de 38 ans et père de 7 enfants déplore le fait que ses agresseurs soient toujours en liberté. Il demande que la justice soit faite. Il pointe du doigt huit personnes qui l’ont battu : Augustin Ntamakuriro, Adronis, Daniel Nyandwi alias Masoro, Odi, Kabura, Badiga, Kennedy et Jean Bosco, chef des Imbonerakure cellule Mukungugu.

Complicité de l’administration à la base?

Le chef de ce quartier, Jean Claude Niragira, réfute ces accusations. Il assure qu’aucun membre de la Coalition Amizero y ‘Abarundi n’a été tabassé ce jour-là. «Par contre, c’est Sugutora qui a commencé à s’en prendre aux membres du comité mixte de sécurité. Il rechigne à participer aux rondes nocturnes ». Quant à Gaspard Nzobakenga, il assure qu’il joue la comédie et que personne ne l’a touché. «Ces militants d’Amizero sont des fauteurs de trouble ».
En ce qui concerne le député, le chef de quartier ne s’est pas montré prolixe : «Il n’avait aucune garde et il n’avait pas aussi signalé sa venue aux autorités à la base.» Et de souligner que les militants des partis politiques vivent en harmonie à Kizingwe. Toutefois, il ajoute que chaque fois que des élections approchent, il y a toujours des problèmes.

Pour Pierre Célestin Ndikumana, président du groupe parlementaire d’Amizero y’Abarundi, le fait que les agresseurs soient toujours libres démontre une certaine complicité des autorités.

«La population va perdre confiance dans le Parlement»

Léonce Ngendakumana : « C’est un référendum de tous les dangers qui comporte des menaces, des risques et de lourdes conséquences sur la nation.»

Léonce Ngendakumana, vice-président du parti Sahwanya Frodebu, se dit étonné du silence de l’Assemblée nationale : «L’autorité de l’Etat s’est effritée. C’est le troisième député qui est battu, torturé et humilié devant les responsables administratifs, les agents de l’ordre et de sécurité sans que l’Assemblée nationale ne daigne sortir aucun mot.»

Ce politique relève deux raisons majeures à ce silence : « C’est une Assemblée nationale nommée, redevable devant ceux-là même qui l’ont nommée et non devant le peuple burundais. De plus, le contexte sociopolitique actuel ne permet pas à cette institution de contrôler l’action du gouvernement sans s’attirer des ennuis.»

Pour Léonce Ngendakumana, la première conséquence est que la population va perdre confiance dans le Parlement et dans les députés. «La deuxième conséquence est le complexe du député lui-même et la peur de contrôler l’action gouvernementale.»

Possibilité d’une campagne paisible?

Pour Pierre Célestin Ndikumana, il est difficile d’envisager que la campagne pourrait se passer paisiblement dans de telles conditions. «Ceux qui pensent museler les gens en leur faisant peur dans le but de les empêcher d’exprimer leurs opinions, ils perdent leur temps. Nous n’abandonnerons jamais ». Il affirme qu’ils vont battre campagne pour faire la lumière sur le projet de Constitution. Il interpelle les membres d’Amizero y’Abarundi de ne pas céder à la peur.

Quant à Léonce Ngendakumana, il trouve que la situation risque plutôt de s’aggraver. « C’est un référendum de tous les dangers qui comporte des menaces, des risques et de lourdes conséquences sur la nation. Il ne peut avoir qu’une valeur négative.» D’après lui, ce référendum va replonger le pays dans des souffrances multiformes.

« Nous demandons d’y renoncer afin de donner la chance au peuple burundais de vivre en paix, de se réconcilier et de cohabiter pacifiquement dans un Burundi digne, uni et prospère ». Il exhorte les garants et dépositaires de l’Accord d’Arusha à être solidaires avec les Burundais dans leur combat contre la négation de l’Accord d’Arusha et l’abrogation de la Constitution qui en est issue.

Alain Guillaume Bunyoni : «Tous les membres de la police nationale sont appelés à respecter les lois et règlements du pays et surtout les droits et libertés individuels.»

Le ministre de la Sécurité Publique, Alain Guillaume Bunyoni, souligne que chaque personne, indépendamment de sa formation politique, a le droit de se plaindre aux institutions habilitées, chaque fois que ses droits sont abusés.

«Tous les membres de la police nationale sont appelés et obligés à respecter les lois et règlements du pays et surtout les droits et libertés individuels.» Le ministre Bunyoni rassure que c’est une consigne qui sera suivie que cela soit en période ordinaire ou en période d’événements spécifiques. Cependant, il tient à souligner que s’il y a des gens qui font la campagne avant le temps, ils seront sanctionnés, selon la loi. «Qu’ils ne disent pas qu’ils ont été maltraités car chaque étape est réglementée.»

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