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Société

Interview exclusive avec Martin Nivyabandi :« On ne peut pas changer une tradition par un décret »

15/04/2019 Commentaires fermés sur Interview exclusive avec Martin Nivyabandi :« On ne peut pas changer une tradition par un décret »
Interview exclusive avec Martin Nivyabandi :« On ne peut pas changer une tradition par un décret »

Martin Nivyabandi, ministre des droits de la personne humaine, nous livre son éclairage sur les enjeux et les dangers qui tardent la mise en place de la loi sur les successions.

Qu’est ce qui manque pour qu’une loi sur les successions soit mise en place ?

Il ne manque rien pour qu’une telle loi soit mise en place. Au niveau du Burundi, il y a eu un essai de mettre en place une loi régissant les successions. Mais au niveau du projet, on a trouvé qu’il avait encore certaines lacunes qu’on n’avait pas analysées en profondeur, surtout les impacts que cette loi pouvait avoir sur la société burundaise.

C’est un projet de loi qui a été analysé au niveau du conseil des ministres mais qui a pris un peu de retard pour des raisons d’efficacité.

Le gouvernement avait recommandé qu’une étude soit menée. Des experts ont mené cette étude mais malheureusement les conclusions ne sont pas tellement différentes de celles qu’on avait eues avant. Pour le moment, on trouve que sa mise en place ne pourrait pas tenir compte des problèmes que connaît notre pays. Il y a des problèmes d’ordre foncier qui nécessitent encore des études.

Une certaine opinion pense que le débat autour de ce projet de loi a été politisé. Qu’en dites-vous ?

Loin de là. Le débat est toujours là. Mais chaque fois qu’il y a un petit problème, on dit toujours que la question a été politisée. Mais de quelle manière? Tous les partis politiques ont parmi leurs membres, les hommes et les femmes. La loi qui régit la femme du CNDD FDD, c’est la même pour la femme de CNL ou de l’UPRONA. Pour des questions sociales, il est très difficile de dire qu’on a politisé la question. On doit analyser en profondeur quelles sont les conséquences, les atouts, si on adopte une telle loi.

Il y a des pays qui ont radicalement changé la loi mais malheureusement, dans la pratique, la loi a été inapplicable. On ne peut pas changer une tradition par un décret.

Quels sont les enjeux de la mise en place de cette loi ?

Dans certaines communes, le lopin de terre laissé par les parents est en dessous de 5,5ha. Or, les spécialistes de la gestion foncière disent que quand on est en dessous de 5,5ha, pour une famille, la terre cesse d’être un facteur de production. C’est un énorme défi dans notre pays quand il s’agit du partage.

La question est en train d’être analysée au niveau du gouvernement notamment la démographie galopante, l’efficacité de la gestion de la terre. Est-ce que nous serions amenés à continuer avec une exploitation comme nous le faisons pour le moment où dans chaque famille, les membres se partagent le lopin de terre. Vu l’amenuisement des terres, il y aura une génération qui n’aura rien à partager.

Y a-t-il des spécificités ?

D’après les descentes effectuées sur le terrain, les problèmes ne sont pas identiques. Selon une région, les parents donnent en héritage aussi bien aux fils qu’aux filles sans aucun problème. Au sein même d’une même région, on a des disparités. Au sein des familles, certaines sont progressistes, et d’autres restent conservatrices.

A Kayanza, l’élite féminine s’est exprimée en faveur d’une réforme progressive.

Bien entendu, on est en train de travailler au niveau du code des personnes et de la famille. On pourra intégrer ce qui est faisable et aller progressivement vers les autres aspects qui causeraient des problèmes. On a trouvé que changer radicalement le droit coutumier vers le droit positif prend du temps. Il faut tenir compte du changement des mentalités.

Quid des conventions qui consacrent l’égalité entre l’homme et la femme que le Burundi a ratifiées ?

Oui, il y a des textes internationaux que le Burundi a ratifiés. Mais, il y a toujours des mécanismes d’adaptation à chaque situation d’un pays. Nous venons de participer à la 63e commission de la condition de la femme à New York. C’est la même remarque qui revient. L’égalité du genre, c’est un processus. On ne peut pas décréter. Au niveau de la législation, nous proposons des lois égalitaires. Nous héritons du passé, d’une tradition. Et on ne peut pas bousculer une tradition.

En l’absence d’une base légale, les juges ont des difficultés pour résoudre les conflits fonciers liés à l’héritage…  

Il faut reconnaître que nous vivons une société patriarcale où l’enfant est affilié à la famille du père. Avec la tradition burundaise, la femme burundaise est usufruitière. Mais les enfants ne vont pas hériter de la propriété qu’elle est en train d’exploiter. Ils vont hériter de leur père. C’est là où un écart se creuse entre l’élite et le monde rural. Il faut analyser la problématique sous l’angle économique et non sous l’angle social. Il y a un mouvement croisé d’héritage dans un contexte de démographie galopante qui fait une pression excessive sur la terre exploitable. Il faut que le juge s’en tienne à la loi pour résoudre ces conflits.

Il y a ceux qui nous embarquent dans une vision occidentale disant que la femme doit avoir une terre pour ceci, pour cela. Mais il faut évaluer l’évolution d’une société. Pour les parcelles urbaines, voitures, biens meubles, j’invite les juges à se référer à la jurisprudence. C’est une partie des solutions.

Quelles sont les solutions ?

L’une des solutions est la planification familiale. L’autre est l’autonomisation économique de la femme. Il faut préconiser des activités alternatives à l’agriculture comme l’apprentissage des métiers. Au niveau de l’héritage en faveur des femmes, la Cour suprême a déjà pris une jurisprudence qui consacre l’égalité des droits entre l’homme et la femme.

Dans les centres urbains, ce n’est pas seulement les garçons qui vont hériter de leurs parents, mais aussi les filles sont incluses. Donc une jurisprudence au niveau de l’héritage a été déjà prise et elle est en vigueur.

Nous continuons à mener des réflexions, à prendre avantage des acquis comme la jurisprudence de la Cour suprême. Nous profitons des ouvertures qui sont au niveau du code des personnes et de la famille, et au niveau de compréhension des leaders féminins.

Peut-on espérer que dans un proche avenir, le projet de loi sur les successions sera de nouveau mis sur la table du gouvernement ?

Nous avons toute une série de lois qui aspirent à assurer l’égalité du genre. Nous ferons tout pour que tout ce qui peut concourir à la promotion de la femme soit mis en place. Nous sommes à l’œuvre pour faire avancer des lois allant dans le sens de l’autonomisation économique et sociale de la femme. A quand une loi sur les successions ? Le terme « successions » pose peut-être confusion. Ce sont plus les actes. Les gens ont compris que c’est l’héritage seulement en faveur des femmes au niveau des ménages. Nous sommes en train de travailler pour trouver une forme qui assure la paix sociale dans notre pays. Une forme d’héritage pour que les membres d’une même famille puissent jouir des mêmes droits, que ce soit du côté de la belle famille que de la famille biologique.

Propos recueillis par Félix Haburiyakira

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