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Société

Hommage au Père Dugas

23/12/2018 Commentaires fermés sur Hommage au Père Dugas
Hommage au Père Dugas

A Noël, souvent on demande les nouvelles des gens que l’on a perdu de vue. C’est tout à fait incidemment, grâce un ami, que j’ai appris le décès en France depuis quelques temps déjà, du Père Jacques Dugas. Quelques mois avant son départ définitif du Burundi, j’avais rencontré à Gitega ce missionnaire qui a tant travaillé pour l’Eglise et l’éducation des jeunes burundais. Moi je l’ai connu alors que j’étais jeune séminariste à Mugera. Je garde le souvenir d’un bon éducateur, toujours à l’écoute. J’ai retrouvé dans mes archives un article que je lui avais consacré et dont je suis heureux de partager avec tous ceux qui l’ont connu et aimé. Une façon de lui rendre un petit hommage, même posthume.

Par Antoine Kaburahe

Le Père Jacques Dugas aura passé plus de cinquante ans dans notre pays. La plus belle trace qu’il a laissée est celle des générations de Burundais, formés par lui dans les prestigieux séminaires de Burasira et Mugera.

A l’époque où le Père Dugas enseignait, on parlait des humanités « gréco-latines ». Une formation solide, complète. A l’université, puis plus tard dans l’administration, ceux qui étaient passés dans le moule du séminaire, nourris d’Ovide et autres Homère, les lauréats de la « rhétorique », enrichissaient l’élite du pays. Le Père Dugas, me disait avec un peu de fierté que ceux-là reconnaissent volontiers « les valeurs acquises au cours de ces études : la rigueur, la droiture, la régularité… ».

Les derniers jours au Burundi, le Père Dugas les a vécus dans la petite Communauté des Pères Blancs à Shatanya, dans la ville de Gitega. Là, du haut de ses 87 ans, il disait qu’il faut « savoir prendre le tournant ».

Il est donc parti définitivement « pour ne pas gêner, car en Europe il y a des maisons spécialisées pour les vieux ». Il s’en est allé pour toujours, après plus de cinquante ans au Burundi, ce pays qu’il a découvert et aimé en 1956.

Maîtriser la langue, connaître l’âme profonde des Burundais

Le jeune Père Blanc qui débarque alors d’Afrique du Nord se donne un premier défi : maîtriser la langue. Il veut connaître la culture, l’âme profonde de ce peuple. « Dès que les gens voient que vous aimez leur langue, ils vont vous aimer » lance-t-il. Aussi commence-t-il par une profonde immersion dans la paroisse de Makebuko où il demande aux prêtres burundais de ne lui parler qu’en kirundi. Un apprentissage à la dure ! Le résultat est à la hauteur de l’engagement : le Père Dugas fut l’un des missionnaires qui maîtrisaient le mieux notre langue. Parfois, mieux que de nombreux Burundais. Ceux qui ont assisté à ses homélies savent comment il maniait aisément nos proverbes…

Quand je lui demande d’évoquer ses souvenirs, c’ est très difficile. Par où commencer en effet ? Le Burundi , on s’en rend compte au fil de la conversation, est devenu son pays. Il a tellement vécu ici, loin de sa France natale.

De cette France où il est né en 1924, il a gardé le souvenir d’une enfance aisée, bourgeoise. « On habitait un château près de Lyon ». La famille avait même une servante, « elle s’appelait Nini ».

La mémoire du Père Dugas est extraordinaire ! Il se souvient de la guerre de 1939-1945 qui éclate l’année de ses seize ans. Avec humour, il raconte : « J’ai une très mauvaise vision. Je ne sais pas fermer un oeil en gardant l’autre ouvert. Je ne peux donc pas viser avec une arme. » Ce léger handicap lui évitera de participer à cette « barbarie » comme il l’appelle. Il sera mobilisé dans un service administratif.

Tristesse… Blessure… Douleur…

Mais que tout cela est loin… Oui, il est resté citoyen français. D’ailleurs, pour les dernières élections il est allé voter à l’ambassade de France à Bujumbura. Mais son pays est le Burundi, qui l’a marqué pour le meilleur et le pire. Et ce pire il ne peut l’oublier : des souvenirs atroces  comme les massacres de 1972. « J’étais à Giheta. On entendait des coups de feu. Près de là, à Nyambeho, il y avait un charnier. » Silence… Souvenirs…

« –Mon Père, on a accusé l’Eglise catholique d’être restée silencieuse en 1972 … 
-Nous étions impuissants, désarmés. Pire : la tragédie se déroulait à huis clos. La communauté internationale n’était pas informée. »

Il rappelle que c’est un prêtre français, un certain Chanoine Picard de retour du Burundi qui a donné l’alerte sur les massacres en cours, dans le journal Le Monde. Et puis, l’Eglise catholique n’était pas épargnée non plus. Il raconte comment son évêque d’alors, Mgr Makarakiza, a pu sauver in extremis, dans la prison de Gitega, antichambre de la mort, Jean Ntagwarara ( qui devint évêque de Bubanza) et un certain Bruno, Frère de la Congrégation des Frères de la Charité. Tristesse… Douleur …
Témoignage terrible : « On disait aux gens de fuir, aux instituteurs de ne pas aller chercher leur paie à l’administration parce qu’ils n’allaient pas revenir. Mais comme ils n’avaient rien à se reprocher, ils partaient quand même. L’inconscience de l’innocent ». Tristesse… Blessure… Douleur…

Et puis, comme s’il se réveille d’un cauchemar, le vieux prêtre souligne aussi la victoire de l’amour sur la haine, les gens qui ont caché les autres. Au péril de leur vie. L’Evangile vécu.

« -Quel conseil donneriez-vous aux Burundais avant votre départ ?
-La réponse fuse, fluide comme un « Je vous salue Marie » qu’il affectionne tant:

– Que les Burundais aient plus d’amour de la vérité et du pays que d’amour de l’argent. »

Le vieux missionnaire est intransigeant : « Toute ma vie j’ai été un adversaire acharné du mensonge ».

« Je suis près d’apparaître devant le Seigneur »

Le Père Dugas a mené une vie intègre. Modeste. Sobre. Il avoue un verre de bière « tous les 15 jours ». Toute sa vie il se réveillait chaque matin à 5 h, priait, méditait, assistait à la messe. Trois rosaires rythmaient sa journée. Après les repas il jouait aux cartes, faisait des sudokus. Il se couchait à 21 h 30.

Le Père Dugas est parti sans rien du Burundi. « Je laisserai des notes de lecture, résultats d’une vie de travail et de spiritualité. Si elles peuvent servir tant mieux, sinon on les brûlera ». Tous ses biens : des notes de lecture.

Aucun objet précieux. Pas de compte en banque. Rien. « La liberté intérieure c’est plus précieux que les comptes en banque» m’a-t-il lancé en rigolant. Ce seront les derniers mots du Père Dugas pour moi. Je crois qu’il se sentait déjà ailleurs : « Je suis près d’apparaître devant le Seigneur ». Avec un humour décapant, il a conclu : «  je suis dans la salle d’attente.» Et dans son Kirundi parfait, il a dit qu’il s’apprêtait à répondre « Mukama Ndarengutse » (Seigneur me voici).
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