Samedi 20 avril 2024

Politique

Gitega, est-elle prête pour devenir la capitale politique ?

28/12/2018 Commentaires fermés sur Gitega, est-elle prête pour devenir la capitale politique ?
Gitega, est-elle prête pour devenir la capitale politique ?
C’est dans cette salle polyvalente de la commune Gitega que les sénateurs se réuniront en session.

Le Conseil des ministres de vendredi 21 décembre a adopté le rétablissement de la capitale à Gitega. Beaucoup de Burundais saluent le projet bénéfique en terme de décentralisation, mais estiment qu’il est hâtif et peu planifié.

Surprise. A Gitega, tout indique qu’il n’y a pas eu de préparation à la hauteur de l’ampleur du méga projet. Déplacer une capitale politique n’est pas une mince affaire.

Les habitants de la « future capitale » s’interrogent notamment sur les infrastructures qui abriteront les services de l’Etat, qui seront bientôt délocalisés. Quand bien même Gitega serait en avance par rapport aux autres villes de l’intérieur du pays, elle reste une petite ville en termes d’infrastructures.

Le Sénat a certes déjà acquis quatre immeubles. Le bâtiment de l’Office burundais pour la protection de l’environnement (OBPE) accueillera les services du bureau. La salle polyvalente de la commune Gitega, dont les travaux de finition sont en cours, les sessions.

Les deux constructions, toutes presque prêtes, se situent sur le boulevard du triomphe. C’est la route qui va du monument du prince Louis Rwagasore, héros de l’Indépendance et passe devant les bureaux de la commune. Cette salle polyvalente, en passe d’être retapée avec une couche de peinture, se trouve en face de la commune. C’est sur l’autre côté de la route bitumée.

Sa construction a été financée par le budget général de l’Etat via le Fonds national d’investissement communal (Fonic). Le gouvernement, dans le cadre de sa politique de soutenir les communes pour leur autonomie, accorde à chacune, via son budget, une somme de 500 millions Fbu par an.

La province mettra à la disposition des représentants du peuple deux des six buildings qui abritent des services administratifs et techniques provinciaux. Construits sous la deuxième République dans la perspective du déplacement de la capitale, le président Bagaza prévoyait d’en faire des bureaux pour les services gouvernementaux.

Cinq ministères devront aussi être établis dans la ville de Gitega. Les ministères de l’Intérieur, de l’Agriculture et de l’Elevage, ceux de la solidarité et de l’Education et le ministère de la décentralisation.

Une décision «malvenue»

Pour les cadres des ministères et commissions qui feront l’objet de décentralisation, le déplacement de la capitale n’augure rien de bon. Un d’entre eux, cadre au ministère de l’Education, déplore sous couvert d’anonymat, qu’ils seront contraints d’être séparés de leurs familles.

Selon lui, cette séparation entraînera beaucoup de dépenses. « Je suis en train de rembourser le crédit de construction de ma maison à Bujumbura. Et je devrais louer une autre à Gitega». Cette mesure nuira à la vie de bon nombre de familles.

Un autre, employé au ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, ayant requis l’anonymat, abonde dans le même sens. «Nous ne pouvons pas certes abandonner le travail. Mais la capitale délocalisée dans la ville de Gitega, nous aurons du mal à vivre au quotidien notre vie de pères, de mères, d’épouses et de maris».

La population appelle aux investissements

L’autre grand inconnu pour les habitants de la ville de Gitega, c’est de savoir si les autorités du pays y installeront leurs domiciles principaux. En principe, une capitale politique jouit du prestige d’être la demeure de l’élite dirigeante. Il en est ainsi pour Bujumbura. Théoriquement, il devait en être de même normalement pour Gitega.

N. K., tenancier d’une boutique au quartier Nyamugari, espère que la province bénéficiera de cette délocalisation en termes de développement. Cet homme ressortissant de la province Rutana espère brasser des affaires : «Ce sera possible car cette ville aura entre autres habitants, des familles qui auront beaucoup d’argent. Le pouvoir confère des moyens à ceux qui l’exercent et c’est tout à fait normal qu’ils se distinguent des autres, notamment dans la consommation. »

Au moins trois buildings, deux pour les bureaux des élus du peuple et un pour le ministère de l’Intérieur, seront pris en raison du déplacement de la capitale.

Un enseignant du secondaire, habitant au quartier Nyabututsi, rappelle sous anonymat que la capitale doit être le centre de rayonnement notamment culturel. Il parle de la nécessité de construction à Gitega de bonnes écoles, des bibliothèques, etc., pour les enfants des dirigeants au moins. «A moins qu’ils laissent leurs familles à Bujumbura, sinon Gitega devrait être doté d’infrastructures culturelles importantes».

Tous les deux appellent le gouvernement, à l’origine du projet, à s’investir particulièrement pour le développement de la ville de Gitega. Sans quoi, Bujumbura restera dans les faits, en plus de son statut de capitale économique, la vraie capitale politique du Burundi.

Emile, habitant le quartier de Shatanya, s’attend, quant à lui, à la construction des hôtels, des salles de conférences, etc. Les habitants de Gitega pourront profiter ainsi du déplacement de la capitale chez eux. Les jeunes chômeurs auront de l’emploi, le niveau de vie sera plus ou moins relevé.

Il ajoute aussi la nécessité de la poursuite de l’asphaltage des routes dans la ville pour en faire une capitale digne et le pavage des avenues dans les quartiers. « Cela fait plusieurs années que nous attendons la réalisation de ce projet». La ville de Gitega connaît aussi de fréquentes coupures d’eau.

C’est le prince Louis Rwagasore qui décida, à la suite de sa victoire aux législatives du 18 septembre 1961, que Bujumbura soit la capitale. Fraîchement devenu premier ministre, à un journaliste de l’Agence française de presse (AFP) qui lui demandait si son gouvernement allait être basé à Gitega, il répondit : «La capitale, c’est Bujumbura.»
Gitega est en passe de devenir la capitale politique du Burundi. C’est un beau projet. Mais, est-elle prête ?

Trois questions à Jean-Claude Karerwa Ndenzako, porte-parole du président Nkurunziza

Existe-t-il à Gitega des infrastructures à même d’abriter les ministères délocalisés ? Tous les services qui déménageront auront des bureaux. Le ministère de l’Agriculture et de l’Elevage se suffit lui-même. Il travaillera à l’Institut de recherche agronomique et zootechnique (IRAZ). Le ministère de l’Intérieur occupera l’immeuble de l’Institut géographique du Burundi (IGEBU), etc. La délocalisation de la capitale à Gitega s’inscrit dans la concrétisation de la Vision 2025. En plus des cinq ministères, les commissions notamment la CVR, la Cnidh, la Ceni, la Commission nationale de l’Unité et de la Réconciliation, seront décentralisées à Gitega et dans d’autres provinces. Gitega, sera-t-il le palais principal où vivra la famille présidentielle ? La concrétisation de fixation de la capitale politique à Gitega ne se fera pas d’un coup. C’est un processus, elle est envisagée sur une année. Et en plus de Gitega, comme capitale politique, Bujumbura jouira du statut de capitale économique. Le Burundi aura donc deux capitales. Nous ne pouvons pas nous prononcer pour le moment au sujet du palais où vivra la famille présidentielle. Mais comme le chef de l’Etat a des enfants qui font leurs études à Bujumbura, on ne pourra pas, à mon avis, les faire abandonner l’école. Le président de la République a droit d’usage de ses différents palais. Il en a trois pour le moment, à Bujumbura, à Gitega et à Ngozi. Le gouvernement prévoit aussi d’en construire un autre à Rumonge. Gitega fait face à plusieurs défis, manque d’infrastructures, coupure d’eau, etc. Que prévoit le gouvernement ? Le ministère des Travaux publics envisage déjà de grands travaux pour doter la ville de Gitega des infrastructures. En plus, il y a des initiatives privées pour accompagner la mesure du gouvernement. A titre d’illustration, le parti au pouvoir est en train d’y construire un grand complexe. La construction d’une maison culturelle est aussi prévue dans la ville de Gitega. Concernant le problème d’eau, cette question se posait dans les provinces du nord, elle a trouvé des solutions suite à l’adduction d’eau et il en sera de même pour Gitega.

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Réactions

Evariste Ndayishimiye : «Les politiciens seront à l’aise à Gitega, loin du bruit des boîtes» Le secrétaire général du Cndd-Fdd se dit satisfait du transfert de la capitale politique à Gitega. Il assure qu’il va faciliter les bonnes relations entre le gouvernement central et l’administration locale. Il servira aussi au rapprochement de l’administration aux citoyens. «Si le gouvernement est à Gitega, ça répond correctement au souci du Cndd-Fdd.» Evariste Ndayishimiye s’étonne que certains Burundais considèrent la fixation de la capitale politique à Gitega comme « si c’est quelque chose de nouveau ». Et d’ajouter : « Gitega était la capitale du Burundi, Bujumbura, la capitale du Rwanda-Urundi et Kigali, celle du Rwanda.» Le secrétaire général du Cndd-Fdd défie quiconque trouvera un document du déplacement de la capitale du Burundi de Gitega vers Bujumbura. «Montrez-moi un seul document qui dit que Gitega n’est plus la capitale, que la capitale c’est Bujumbura. On ne sait pas par quelle voie la capitale du Burundi a été changée». Pour M. Ndayishimiye, le retour de la capitale à Gitega c’est « remettre les choses à la normale ». Entre autres avantages, la ville destinée aux activités économiques sera séparée de celle du jeu politique. «Il n’y aura pas de distraction envers les opérateurs économiques. Les politiciens vont être aussi à l’aise, sans beaucoup de bruit des gens qui sont dans les boîtes». Il n’y aura pas de la perturbation de la planification des activités politiques. Léonce Ngendakumana : «La concrétisation sera difficile» Le vice-président du parti Frodebu doute que le gouvernement ait des moyens pour faire de Gitega la capitale politique. Le pays s’enfonce de jour en jour dans la pauvreté. Il fait face à beaucoup de difficultés d’ordre financier. «La concrétisation sera difficile». D’après cet ancien président de l’Assemblée nationale, peut-être que les autorités se contentent de la prise de la décision et veulent laisser la mise en application à leurs successeurs. En outre, M. Ngendakumana doute de l’existence d’une planification : «Personne ne sait s’il ne s’agit pas du souhait». Le pouvoir en exercice a déjà annoncé plusieurs projets mais qui n’ont jamais abouti. Kefa Nibizi : «Une bonne décision mais… » Le président du parti Sahwanya Frodebu iragi rya Ndadaye salue la mesure du gouvernement. Se trouvant au centre du pays, Gitega est accessible pour les Burundais, peu importe d’où ils viennent. Bujumbura est frontalier de la République démocratique du Congo, un pays toujours instable. Cela entraîne des répercussions sur la capitale, par ricochet sur tout le pays. «C’est très compréhensible alors que la capitale soit délocalisée au centre du pays ». Néanmoins, Kefa Nibizi indique que ce projet devrait être précédé par d’autres. Le déplacement de la capitale suppose l’existence des infrastructures. L’autre point, c’est en rapport avec le logement des fonctionnaires dont les services seront délocalisés. Ceux qui ont des maisons d’habitation à Bujumbura, devront en louer à Gitega. Athanase Karayenga : «Une bonne décision qui devrait être étalée au moins sur 10 ans » Ce journaliste burundais et ancien conseiller du président Bagaza en charge de la communication se dit satisfait de la mesure du déplacement de la capitale politique à Gitega. «Il occupe la même place pour le Burundi que le cœur dans le corps humain. C’est vraiment le centre du Burundi. Quelqu’un qui vient de Kirundo et quelqu’un d’autre en provenance de Makamba, ils y arriveraient tous en même temps». Gitega est aussi stratégique par rapport à Bujumbura en matière de sécurité. «Bujumbura est à portée de canon d’Uvira, ou de toute la plaine de la Rusizi, côté de la RDC». En plus, le climat est plus agréable à Gitega : «Il fait moins chaud, moins de moustiques aussi ». Un autre avantage économique considérable, les gens n’y pensent pas malheureusement, quand il y aura des chemins de fer qui relient le Burundi à la Tanzanie et au Rwanda, les liaisons se feront à Gitega. «En raison du relief, Bujumbura ne peut pas être relié à ce chemin». Ce vieux briscard du journalisme burundais dit que le plus gros problème à Gitega reste l’approvisionnement en eau : «On peut faire des barrages d’eau sur la Ruvubu et la Ruvyironza pour alimenter Gitega». Il conseille aux autorités de ne pas imaginer une grande ville en taille. Athanase Karayenga rappelle que le président Bagaza était à deux doigts de proclamer Gitega, capitale du Burundi. «Je pense que sa motivation était sécuritaire. Et aussi pour rapprocher l’administration des Burundais des campagnes. C’est lui qui le premier a décentralisé le ministère de l'Agriculture».

Editorial de la semaine

Une responsabilité de trop

« Les décisions prises par la CVR ne sont pas susceptibles de recours juridictionnels. » C’est la disposition de l’article 11 du projet de loi portant réorganisation et fonctionnement de la Commission Vérité et Réconciliation analysée par l’Assemblée nationale et le Sénat (…)

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