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Environnement

Des millions de BIF ‘’enfouis’’ dans la Ruvubu

18/02/2019 Commentaires fermés sur Des millions de BIF ‘’enfouis’’ dans la Ruvubu
Des millions de BIF ‘’enfouis’’ dans  la Ruvubu
Une des paillotes du Camping Lodge du Parc National de la Ruvubu en état de délabrement.

Avec un coût de 400 millions de BIF, les travaux d’aménagement d’un Camping Lodge dans le Parc National de la Ruvubu sont au point mort depuis déjà six ans. Aujourd’hui, il est dans un état pitoyable.

A une dizaine de kilomètres de l’entrée principale du Parc, vers Cankuzo, une petite pancarte. « Bienvenue au Camping Lodge, à 250 m », oriente-t-elle. Une petite route, visiblement moins fréquentée, y prend source.
De loin, environ à une centaine de mètres, on voit des toitures des gigantesques paillotes.

Pour y arriver, on fait une déviation. Mais, il faut être courageux, patient. On patauge. On se faufile dans de hautes herbes qui ont conquis cette petite route glissante et boueuse. On hésite. On se sent perdu, embarrassé.

On est tenté de rebrousser chemin. Mais les sauts des singes, des babouins, d’un arbre à un arbre, d’une branche à une autre ; des chants d’oiseaux, des buffles fuyant les vrombissements de moteur … donnent envie de continuer. Des scènes agréables à admirer pour les amis de la nature.

Néanmoins, à 250 m de marche, c’est la déception. Le Camping Lodge n’en est pas un. Juste onze grandes paillotes, inachevées et délaissées. Aucun mouvement. Aucun visiteur. Rien de spécial.

« Les travaux se sont arrêtés au mois d’octobre 2013. Deux ans après le début », déplore Martin Mugende, le plus ancien vielleur de cet endroit. Cinq ans après, la reprise n’est pas encore là. Et d’indiquer qu’il s’agit d’un projet du ministère du commerce à travers son Office national du tourisme (ONT). « Le coût de tous les travaux est de 400 millions BIF ».

Construites en bois, planches et couvertes de pailles, les dimensions de ces infrastructures sont inégales. Certaines toitures sont déjà détruites, d’autres en partie. On y trouve des restes du matériel de construction tel le sable, les briques cuites, des planches, … Tout est délaissé. On y trouve un robinet d’eau desséché, un bloc de latrines abandonné.

Des herbes ont rapidement conquis le terrain. En plein parc, des mouches, des moustiques … y grouillent. Un espace qui était réservé à une piscine est déjà occupé par des herbes touffues. Pas de clôture.

Les veilleurs remontés

Virgin Nkurunziza : « 41 mois viennent de s’écouler sans être payés. »

Deux hommes assurent la sécurité du lieu. « Nous sommes très malheureux. Nous ne savons plus à quel saint nous vouer », lâche Virgin Nkurunziza, croisé sur place. « 41 mois viennent de s’écouler sans être payés », se lamente-t-il, d’une voix pleine d’émotions. Aujourd’hui, ce père de six enfants se sent désarmé.

« La date du dernier paiement est le 10 juillet 2015 », précise Martin Mugende, le plus ancien de ce site. A cette date, après plusieurs promesses non-tenues, on leur a payé douze mois d’un coup.

Actuellement, ils affirment que l’Etat leur doit 9.840.000BIF. « Nous touchons un salaire de 120 mille BIF par mois.» Ici, ils pointent du doigt l’Office National du Tourisme (ONT).

Une situation qui rend leur vie intenable. « Nos enfants, nos familles meurent de faim alors que nous nous sacrifions pour protéger des biens publics », confie Virgin Nkurunziza. Avant d’ajouter : « Aujourd’hui, j’ai vraiment honte de rentrer à la maison. C’est très choquant de voir mes enfants dormir ventre vide.»

Larmes aux yeux, il signale que tous ses quatre enfants ont déjà abandonné l’école. Et ce, à cause du manque du matériel scolaire et de la faim. De son côté, M. Mugende indique que tous ses enfants ont également abandonné l’école. « Je n’ai rien à dire devant ma famille. On me prend pour un menteur. »

Ces deux hommes travaillent dans des conditions très difficiles. « Nous devons protéger ces infrastructures publiques jour et nuit contre les animaux et les riverains », confie-t-il. Comme la société qui exécutait les travaux est partie sans payer les fournisseurs des planches, du matériel de construction, … ces derniers tentent souvent de mettre le feu à ces paillotes. « En guise de démonstration de leur mécontentement, ils ont d’ailleurs déjà volé et détruit les tuyaux destinés à alimenter cet endroit en eau ».

Epuisés, démoralisés, M. Nkurunziza signale qu’ils ont tenté même d’abandonner ce travail. « Pour nous contraindre à rester ici, on nous a menacé d’emprisonnement.» Et de demander l’intervention du président de la République du Burundi : « Nous lui demandons de plaider pour nous. Que l’Etat nous paie notre argent. Nos familles sont en train de mourir de faim.» Les deux veilleurs sont convaincus qu’il est le seul à pouvoir débloquer leur situation. Car, justifient-ils, des cadres du ministère du Commerce, ceux de l’ONT, le 2e vice-président de la République sont passés par là, et ont été informés de la situation. « Mais la solution se fait toujours attendre ».

De son côté, Marc Bakundintwari, responsable du parc, affirme qu’il y a un projet de construire un hôtel dans ce patrimoine naturel. « Malheureusement, les moyens n’ont pas été suffisants pour achever la construction. »
Néanmoins, se référant aux promesses du ministère du Commerce, il rassure que les travaux peuvent reprendre d’un moment à l’autre. Il espère également que ces veilleurs seront payés.

Contacté, Léonidas Habonimana, directeur général de l’ONT a, pour sa part, signalé que cette question est traitée au niveau du cabinet du ministère du Commerce. Nous avons essayé d’avoir leur réaction, en vain.


Les braconniers ne désarment pas

Le Parc National de la Ruvubu

« Malgré nos efforts, les sensibilisations, le braconnage existe encore. Et ces derniers mois, les braconniers se montrent de plus en plus menaçants », témoigne Balthazar Kanyarushatsi, un guide et éco-garde au Parc National de la Ruvubu.

Originaires de la Tanzanie ou des communes riveraines du parc, ils adoptent de nouvelles tactiques. « Aujourd’hui, ils viennent en groupes armés de lances, de machettes, etc ». Ils tendent des pièges avec des objets métalliques, raconte-t-il, ou ils placent une sorte de filets en fils barbelés. « Après avoir installé leurs pièges, des rabatteurs dirigent les animaux vers les filets ».

Manifestement, vu la fréquence de ces cas, ce guide pense que ces braconniers cherchent à intimider les éco-gardes. Et de souligner que depuis octobre 2018, quatre gardiens ont été blessés. Cas d’un certain Gilbert de Mwakiro, à Muyinga : « Il a été touché par une lance au niveau de la cuisse. » Trois autres ont été blessés à la machette soit au niveau du bras, de la tête ou des doigts.

La pauvreté et l’insuffisance du personnel

Pour sa part, Marc Bakundintwari, responsable du parc, trouve également cette recrudescence du braconnage inquiétante. Une situation liée à la pauvreté des familles riveraines. « Certains riverains n’ont pas encore renoncé à cette pratique. Sans moyens pour se procurer de la viande, ils s’attaquent aux animaux du parc. »
Pour lui, ces riverains vulnérables ont besoin d’un soutien financier pour entreprendre des activités génératrices de revenus.

En outre, le personnel est peu nombreux et pas équipé. Pour une superficie de plus de 50 mille ha, M. Bakundintwari indique qu’ils sont seulement 60, y compris les cadres. Pire encore, ils sont majoritairement vieux. « Or, le travail d’ici demande de la force. »

Des moyens de déplacement, des imperméables, etc font également défaut pour mieux surveiller ce patrimoine naturel.
Pour rappel, en 2011, le PNUD (Programme des Nations-Unies pour le développement) a fourni plusieurs équipements destinés à renforcer la sécurité et la protection du Parc (panneaux de signalisation, guérites, paillottes d’observation, bicyclettes, uniformes lampes torches, radios de communication, mégaphones, etc.

Le combat n’est pas encore perdu

Marc Bakundintwari : « Certains riverains n’ont pas encore renoncé au braconnage. »

Malgré cette recrudescence du braconnage, M. Bakundintwari signale que l’OBPE et les éco-gardes se battent quotidiennement pour y faire face. Et de mentionner que des groupements environnementaux ont été créés sur toutes les collines riveraines. « Ils nous aident dans la protection du parc.»

Il évoque aussi la mise en place des clubs d’environnement dans les écoles secondaires. « Notre vision étant d’inculquer les notions de protection de l’environnement aux jeunes âges.» Il apprécie également que la justice est de plus en plus sensible à cette question. Et les patrouilles sont désormais opérées jour et nuit.

Des actions qui ont d’ailleurs déjà porté des fruits. « Certains anciens braconniers ont remis leurs matériels et se sont convertis en protecteurs. »

Pour être plus efficace, il suggère de recruter des jeunes éco-gardes et de les équiper en fusils et autres matériels. « Il est très risqué et dangereux de s’opposer avec des bâtons aux braconniers armés des flèches, de lances et de machettes ». Et de rappeler qu’avant le programme de désarmement, les éco-gardes étaient armés. Ce qui est d’ailleurs une pratique dans d’autres pays. En attendant, Balthazar Kanyarushatsi propose la mise en place d’une police de l’environnement.

Institué par le décret du 3 mars 1980, le Parc national de la Ruvubu est la plus grande aire protégée du Burundi. Sa superficie actuelle est de 50.800 ha. La rivière Ruvubu, son éponyme est la plus longue du Burundi avec 280 km. Elle parcourt ce parc sur environ 65 km. S’étendant sur huit communes des provinces Muyinga, Cankuzo, Ruyigi et Karusi, le parc abrite une faune variée et visible. Des hippopotames, les buffles, différentes espèces d’antilopes, des oiseaux, chacals, des sangliers, les tigres, etc. En tout, 44 espèces de mammifères, 421 espèces d’oiseaux et 14 espèces de poissons selon Marc Bakundintwari, son responsable.

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