Vendredi 19 avril 2024

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De l’insécurité et un ultimatum

Les provinces Bururi, Mwaro, Rumonge et une partie de Bujumbura sont en proie à des attaques de groupes armés, des assassinats ciblés et des arrestations massives depuis le début de l’année. Le président vient de donner deux semaines aux malfaiteurs pour déposer les armes.

A Ndava, les habitants se posent encore des questions sur l’identité de ceux qui ont attaqué le 24 mai dernier.
A Ndava, les habitants se posent encore des questions sur l’identité de ceux qui ont attaqué le 24 mai dernier.

La dernière attaque dans cette région remonte à la nuit de mardi 24 mai 2016 en commune Ndava, province Mwaro (centre-est du pays). Dix hommes armés attaquent un dépôt de boissons appartenant à un certain Bosco Muhitira. «Seuls deux avaient des armes. Ils sont venus par la colline Rusengo», confie G.N., un habitant de cette localité.

Arrivés sur place, ces malfaiteurs demandent où se trouvent ceux qui se font appeler Imbonerakure, raconte un témoin oculaire. Par après, Laurent Sinzinkayo, un officier de police judiciaire (OPJ), basé au chef-lieu de la commune Ndava, s’empoigne avec un des assaillants. «C’est un autre malfaiteur qui lui a tiré dessus par derrière.»

Parmi les autres clients, car ce dépôt faisait aussi office de bistrot, on dénombre plusieurs blessés. Le propriétaire est blessé à la tête lorsqu’il tente de fuir. Eric Nduwimana, un infirmier, est touché par une balle à l’épaule droite et au visage. Dieudonné Ndayizeye, un enseignant à l’Ecole fondamentale de Bugera, dans la zone de Buziracanda en commune Ndava, est également blessé. Selon des témoins, alors que tout le monde avait reçu l’ordre de se coucher à plat ventre, Dieudonné a relevé la tête et les assaillants lui ont tiré dessus. Il a été blessé à l’épaule et à la main. Un doigt lui sera amputé à l’hôpital de Kibimba où il est toujours alité. Jean Bosco Misigaro, veilleur à ce dépôt, est également blessé par ces assaillants.

Des arrestations qui ne font pas l’unanimité

Par après, ces malfaiteurs pénètrent dans le dépôt et dévalisent la caisse. Selon le gouverneur de la province Mwaro, Jean-Marie Nyakarerwa, ils ont volé un million de Fbu. «Après leur forfait, ils ont demandé où ils peuvent trouver de l’essence », raconte un témoin. Ils entrent alors dans une boutique et trouvent un peu de carburant. Ils se dirigent vers la permanence du parti Cndd-fdd et tirent sur Zacharie Nzeyimana alias Gikasi, une sentinelle de la permanence qui meurt sur le champ.

Selon Aaron Nshimirimana, conseiller technique chargé du développement en commune Ndava, ces assaillants tentent alors de brûler la permanence, mais seule une fenêtre prend feu.  Et d’ajouter qu’ils se sont alors repliés vers la zone Buziracanda. «Nous avons vu du sang sur la route Rusengo- Buziracanda. Un des assaillants a été blessé.»

Le 27 mai, trois personnes soupçonnées d’être derrière cette attaque, sont interpellées. Il s’agit d’un dénommé Denis, un enseignant de l’Ecole fondamentale Rango à Buziracanda, et deux de ses voisins, Claude et son père Marc. Ces deux derniers sont relâchés, mais Denis est conduit au commissariat de police de Mwaro. « Denis indique qu’il a été blessé alors qu’il faisait paître les vaches. Même qu’il raconte qu’il se faisait soigner à la maison, la police est en train de l’interroger afin de savoir pourquoi il ne voulait pas aller à l’hôpital », confie le gouverneur.

Mais pour ses proches, les raisons sont toutes autres. «Il est poursuivi pour des raisons politiques.» On le dit membre du parti MSD. Des sources à Mwaro rapportent qu’un grand nombre d’habitants de Buziracanda se sont rendus au Parquet de Mwaro, ce lundi 30 mai, pour protester contre cette arrestation et demander des enquêtes sérieuses.

Aaron Nshimirimana précise que globalement la situation sécuritaire est bonne dans toute la commune et qu’il n’y a pas d’accrochage entre les militants des différents partis politiques. «C’est la première fois qu’on assiste, dans notre commune, à des attaques liées à des mobiles politiques.» Le gouverneur abonde dans le même sens : «A part ce qui s’est passé à Ndava, la sécurité est effective dans toute la province.»


Mugamba et Burambi : assassinats et arrestations abusives continuent

Les habitants de deux communes disent vivre la peur au ventre à cause des tueries qui s’y observent et des intimidations des Imbonerakure. L’administration se garde de tout commentaire.

Un certain Jérôme Buzeze a été tué à la machette, le 25 mai 2016, sur la Colline Shembe, zone Maramvya en commune Burambi, province Rumonge. Selon les habitants de Burambi, la victime était connue pour être proche du parti au pouvoir. « Il collaborait avec la police et des Imbonerakure dans la traque des anti-troisième mandat. » Ces derniers, soupçonnent nos sources, auraient décidé de supprimer un témoin gênant.

A Mugamba, Edmond Mugisha, élève à l’école technique, a été arrêté par des militaires de la position de Muyange sans aucun mandat, le 23 mai. Les faits se sont déroulés sur la colline Gitara, zone Mwumba. Selon nos sources, il a été conduit au poste de police de Mugamba pour y subir un interrogatoire. Le motif de son arrestation reste inconnu. Un certain Dominique a été tué le même jour sur la colline de Mugendo-Ruko, zone de Nyagasasa. Selon nos sources, la victime ferait partie d’une bande armée et aurait été tué par un de ses frères d’armes.

En date du 26 mai 2016, une personne connue sous le nom de Kavyonzi a été tuée par des hommes armés non identifiés sur la colline Ruhinga, commune Mugamba, province de Bururi. Les mobiles de ce meurtre ne sont pas connus.

Buyengero, province Rumonge

Gaspard Mfashimana, ancien directeur de l’école primaire de Kwishwi, et Arthémon Akeza, un enseignant de l’école primaire de la colline de Mujigo, ont été arrêtés par la police en commune Buyengero, province Rumonge. La police avait découvert un imperméable et une paire de bottines militaires au domicile de l’un de ces enseignants. Ces derniers étaient soupçonnés de tenir des réunions clandestines. Pourtant, aucun document en rapport avec ces réunions n’avait été trouvé.

La police a arrêté, ce 1er juin, cinq élèves du lycée communal de Mukike, province de Bujumbura dit rural. Les policiers sont intervenus alors qu’ils étaient en cours, d’après des proches. Ils sont accusés de détention illégale d’armes. Ils sont pour le moment détenus à la brigade policière de Mayuyu.

Au moment où nous mettons sous presse, nous apprenons qu’un certain Melance Hakizimana a été arrêté sur la colline Shana de la commune Rusaka, province Mwaro, par la police. Natif de la localité de Nyamiyaga (commune de Rusaka), il est enseignant à l’école primaire. La police l’a interpellé et conduit dans un lieu inconnu, selon ses proches. Sa famille et les défenseurs des droits humains craignent pour sa sécurité.


L’ultimatum de 15 jours

Le président Nkurunziza a visité, ce mercredi 1er juin, la commune Mugamba où il a donné un ultimatum de deux semaines aux malfaiteurs pour déposer les armes. Les habitants de Mugamba craignent le pire.

Le Président Pierre Nkurunziza : « Nous donnons 15 jours à tous les malfaiteurs pour se rendre et remettre leurs armes. »
Le Président Pierre Nkurunziza : « Nous donnons 15 jours à tous les malfaiteurs pour se rendre et remettre leurs armes. »

La visite a débuté par une réunion à huit clos de 4 heures avec les gouverneurs de Bururi, Mwaro et Bujumbura dit rural ainsi que des responsables militaires et policiers de ces trois provinces.

Lors de cette rencontre, Christian Nkurunziza, gouverneur de la province Bururi, a donné un bilan de 11 civils tués par des hommes armés depuis janvier 2016, 36 malfaiteurs tués et une centaine interpellée.

Au sortir de cette rencontre, le numéro Un burundais n’a pas fait dans la dentelle. Devant une population composée essentiellement d’élèves, massée sur le terrain de football de Muyange, il a annoncé qu’il donne 15 jours à tous les malfaiteurs pour se rendre et remettre leurs armes. « Au cours de cette période, nous demandons aux forces de sécurité d’accueillir à bras ouverts ceux qui se rendront », a-t-il martelé, non sans rappeler que les repentis sont envoyés dans les centres des métiers pour être formés.

Passé ce délai, prévient M. Nkurunziza, deux mois seront donnés aux forces de l’ordre pour traquer ces malfaiteurs. « Après le 15 juin, nous allons mettre des cadenas.»

L’inquiétude de la population

Le chef de l’Etat a donné l’exemple de la province Bujumbura dit rural à qui il avait donné un tel délai en 2010. «Nous allons utiliser les mêmes moyens jusqu’à ce que la sécurité revienne », a-t-il promis. Et de conclure que ceux qui perturbent la sécurité ne sont pas des étrangers. Ce sont vos proches, a rappelé le Président, aux habitants de Mugamba. « Appelez-les pour qu’ils se rendent.»

«Après cette visite, nous ne sommes pas du tout rassurés », confie un habitant de cette localité. «On dirait que le président est venu commencer une guerre», renchérit un autre. Avec ironie, un autre se demande pourquoi le président Nkurunziza n’a pas initié des projets de développement, comme il le fait partout où il fait de pareille descente.


>>Réactions

Des règlements de comptes entre particuliers

Alain Guillaume Bunyoni : « Ces actes criminels n’ont rien à voir avec des motivations politiques comme les mauvaises langues le prétendent. »
Alain Guillaume Bunyoni : « Ces actes criminels n’ont rien à voir avec des motivations politiques comme les mauvaises langues le prétendent. »

Dans un communiqué sorti le 30 mai dernier, le commissaire général Alain-Guillaume Bunyoni, ministère de la Sécurité publique, indique que les actes criminels, assassinats, enlèvement et jets de grenades, constatés ces derniers jours, sont essentiellement motivés par des règlements de comptes entre particuliers. « Ils n’ont rien à voir avec des motivations politiques comme les mauvaises langues le prétendent. » Suite à ces crimes, confie-t-il, le ministère a dépêché des unités spécialisées d’enquête de la police qui sont à l’oeuvre pour faire toute la lumière sur ces actes criminels, rechercher et traduire leurs auteurs devant la justice le plus tôt possible. Et de recommander à la police de prendre toutes les dispositions nécessaires pour mettre fin à cette criminalité sans délai.

Une intimidation pure et simple

Anschaire Nikoyagize : « L’ultimatum lancé par Pierre Nkurunziza est une intimidation pure et simple. »
Anschaire Nikoyagize : « L’ultimatum lancé par Pierre Nkurunziza est une intimidation pure et simple. »

Pour Anschaire Nikoyagize, président de la ligue Iteka : « L’ultimatum lancé par Pierre Nkurunziza est une intimidation pure et simple comme il l’a fait à Bujumbura. » En plus, soutient M. Nikoyagize, le président ment en disant que les repentis sont dans des centres des métiers. « On connaît leur sort. C’est indigne de la part d’un chef de l’Etat de faire une descente pour aller seulement intimider la population. » Pour lui, ce mot d’ordre ressemble à celui donné par le président du Sénat. « C’est encore inquiétant lorsqu’il vient de la bouche du président de la République. » Et de conclure que les habitants de Mugamba ont raison d’avoir peur.

Seule la négociation avec le Cnared peut rassurer

Léonce Ngendakumana : « Le Chef de l’Etat ne procède pas par ultimatum, mais propose des solutions. »
Léonce Ngendakumana : « Le Chef de l’Etat ne procède pas par ultimatum, mais propose des solutions. »

Léonce Ngendakumana, président de l’Adc-Ikibiri, n’y va pas par quatre chemins : « Le chef de l’Etat ne procède pas par ultimatum, mais il propose des solutions à la population. » Et pour cause, explique-t-il, la question de l’insécurité ne se pose pas seulement dans la commune Mugamba, mais dans tout le pays. Si Pierre Nkurunziza veut sauver les jeunes de Mugamba, souligne-t-il, il ne devrait pas procéder par des menaces avec possibilité d’une guerre, ce qui n’augure rien de bon. « Il devrait plutôt leur annoncer comment il compte participer dans les négociations d’Arusha sans conditions préalables avec le Cnared. C’est cela qui peut rassurer les habitants de Mugamba, tous les Burundais, son administration et même la communauté internationale. »

Concernant l’ultimatum lancé par le président de la République, Léonce Ngendakumana estime qu’il ne sera pas respecté car, même à Bujumbura dit rural, le régime a dû négocier avec Agathon Rwasa pour que la paix revienne en 2010.

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. Ferdinand Texas

    Pour Anshere Nikoyagize, il faut que le president laisse ces criminels continuer a egorger la papulation paisible sans qu’il y ait l’action du chef de l’etat. Le ridicule ne tue pas.

  2. Orignal

    Mu Burundi démocratie irabica bigacika. Uyo mugabo Nikoyagize ntiyisonera. Mu kirundi hariho imvugo mbabariramatwi . Ntushobora kwifatira umukuru w’igihugu ngo n’umubeshi. Biragaragara ko abanyagihugu b’uburundi ari abana beza. Inkozi z’ikibi ni abiyita abanyapolitike hamwe nabo bavuga ko badakiranira ivyicaro naho ari ububeshi aribo bapfukamye igihugu mu nda.

  3. Inyishu

    Seule la négociation avec le Cnared peut rassurer !! alors cest CNARED qui est responsable des malfaiteurs??? explique nous Mr Léonce .

  4. wakera

    La paix na pas de prix. Le Président a cette obligation constitutionnelle d’user de tous les moyens pour garantir la paix et la cohésion sociale. Mugamba est au Burundi et il doit y régner la paix et aller sur le chemin du développement que les autres contrées du pays.

    • Euphrasie Ngoyi Gaugbe

      J’espère que ce n’est pas à la machette ou aux canots qu’il (ton Peter) faire régner la paix dans ces communes comme l’autre fois à Bujumbura, dit Bujumbura rural!!!!!

      • Bakari

        @Euphrasie Ngoyi Gaugbe
        Les canots ne tuent pas à ce que je sache; sauf s’ils se renversent durant leur utilisation. Par contre les machettes c’est comme les bambous aiguisés: tous les deux types d’armes ont causé un désastre dans les Pays des Grands-Lacs!

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