Mardi 16 avril 2024

Opinions

Christophe et Joseph

07/11/2018 Commentaires fermés sur Christophe et Joseph
Christophe et Joseph
Joseph Ntamahungiro

Par Fabien Cishahayo

Les hommages à notre ami Joseph Ntamahungiro, disparu le 13 de ce mois, sont nombreux et unanimes : Joseph était un homme d’une intégrité sans faille. Il avait un cœur en or massif et un esprit d’une incroyable ouverture. Son humour, discret et raffiné, se dégustait comme un bon cru. Bon vent, Joseph. Tu navigues vers un pays que tu espérais depuis longtemps et où, toi, Ntamahungiro – qui, soit dit en passant, signifie il n’y a pas de terre d’exil définitif – tu mettras enfin un terme à tes errances sur la terre des hommes.

J’aurais pu ne jamais connaître Joseph Ntamahungiro. Bien que originaire de la même province et de la commune de Gitega, tout comme lui, je ne l’ai rencontré qu’autour des années 2000 en Belgique. Et pour cause : il a passé la majeure partie de sa vie en exil. Au Rwanda, pendant près de 30 ans, puis en Belgique, où j’ai eu le privilège de croiser son chemin. Et j’étais absent du Burundi pendant la petite période qui sépare les deux exils de mon ami.

Christophe Nkurunziza, alias Kijigo

Je dois à un homme, Christophe Nkurunziza, alias Kijigo, la chance d’avoir connu Joseph, qui vient de nous quitter et dont les funérailles sont prévues ce jeudi à Bruxelles.

Je dois aux lecteurs de souligner cependant que je n’ai pas été témoin des faits que je raconte ici. Ils m’ont été rapportés par des gens qui connaissent Christophe et Joseph et à qui j’ai demandé si je pouvais reprendre le récit des faits qui ont scellé en commun les destins de ces deux compatriotes, Joseph, qui vient de nous quitter et Christophe, qui est encore de ce monde.

Joseph est rentré d’exil après la victoire de Ndadaye en 1993 et, formé en journalisme en Suisse (Fribourg) il a été nommé Directeur général de la Radio-télévision nationale (RTNB). Après la mort de Ndadaye, le pays est livré à la violence inouïe que tout le monde connaît. Un jour du mois de janvier 1994, Joseph tombe dans une horde de tueurs à Nyakabiga. Sorti brutalement de sa voiture, à moitié déshabillé, il est jeté sans ménagement dans un caniveau. Et ces animaux à visage humain, pour parler comme Martin Gray, commencent à amasser des pierres pour le lapider. Il s’en est donc fallu de peu que Joseph ne nous quitte en 1994.

La chance de Joseph porte un nom : un journaliste de la RTNB, Christophe Nkurunziza, habitant du quartier, arrive sur les lieux quelques minutes avant le lynchage programmé. Son sang ne fait qu’un tour : il interpelle le groupe, supplie, plaide pour la vie de Joseph, son Directeur général, et joignant le geste à la parole, il descend dans le caniveau et s’allonge à côté de la victime. Il demande à être lynché avant Joseph ou avec lui. Il hypothèque sa vie pour sauver celle de son supérieur hiérarchique. Interloqués, les tueurs abandonnent leur sinistre projet.

Christophe et Joseph quittent discrètement les lieux. Le journaliste venait de donner à Joseph et aux siens un cadeau inestimable : un bonus de 24 ans de vie. Joseph a bien utilisé ce bonus : il a quitté le pays aussitôt après, mais de son exil bruxellois, résilient, il a dépassé son traumatisme et a travaillé fébrilement, pendant ces 24 ans, à servir sa terre natale, malgré les blessures qu’elle lui a infligées. Peut-être le visage de Christophe, prêt à sacrifier sa vie pour la sienne, lui apparaissait-il constamment chaque fois qu’il voulait jeter l’éponge, désespérer de son pays.

Il nous faut parler des gestes héroïques de ce type pour dire que, nous aussi, nous avons des Justes parmi les nations, même si nous ne les célébrons pas assez. Pour rappeler que, au cœur de nos nuits, de petites lumières, faibles comme des lucioles, mais immensément brillantes, ont témoigné que nous appartenions encore à l’humanité, en dépit de la barbarie qui s’étalait sous nos yeux, sur les collines de nos campagnes et dans les rues de nos villes.

Puisse cet exemple de sacrifice servir de leçon aux jeunes générations pour leur inspirer un élan vers l’autre, même – et surtout – quand les déchaînements de haine invitent bruyamment les citoyens de notre pays à s’enfermer dans le giron de leur ethnie.

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Déceptions

Par Léandre Sikuyavuga Menaces, calculs ou pur suivisme ? L’Assemblée nationale vient d’adopter presque à l’unanimité le projet du Code électoral. Seuls deux députés ont émis leurs objections. Ce Code qui va régir les prochaines élections avait pourtant suscité moult réactions (…)

Online Users

Total 3 943 users online