Samedi 20 avril 2024

Économie

Burundi : des premiers jalons d’une économie sociale aux microcrédits

Des coopératives pour s’affranchir

A la veille des indépendances, les leaders africains veulent l’auto-développement de leurs peuples. Pour émanciper les Burundais, le prince Louis Rwagasore initie les coopératives. Son discours du 4 septembre 1958 lors de l’ouverture de la COPICO (Coopérative indigène de consommation) est éloquent.
« …Une chose est certaine, par les mouvements coopératifs bien gérés, aidés et encouragés, notre pays connaîtra un essor économique sain, équilibré et durable, notre peuple profitera d’une vie sociale honnête, humaine et juste. Ces pauvres gens qui grouillent sur nos collines ne peuvent plus accepter d’être volés sans pouvoir se défendre parce que leur seul malheur est d’être encore ignorants. Nous ne pouvons pas rester longtemps indifférents devant tant d’injustices, de misère, de malhonnêteté et de cupidité… »
Bien avant l’indépendance, note l’historien Mukuri, des coopératives existaient, le prince Louis Rwagasore s’y est beaucoup investi et les Burundais y ont adhéré. D’après lui, les prêtres ont aussi encouragé la création des coopératives et des mutualités.

Manifestation spontanée après  l'annonce de la mesure de  suppression du système de  servage dit Ubugererwa, une des  mesures du régime Bagaza
Manifestation spontanée après l’annonce de la mesure de suppression du système de servage dit Ubugererwa, une des mesures du régime Bagaza

« J’ai vu les coopératives de mes propres yeux. J’étais déjà à l’école secondaire. C’est après des rencontres avec Julius Nyerere et d’un crédit de la part de ce Père de la Nation tanzanienne que Rwagasore initie des coopératives. C’était vers la fin des années 1957 », se rappelle Apollinaire Nsambirubusa.
Et de poursuivre : « C’est avec ces coopératives que nous avons connu pour la première fois l’huile de palme. Les produits étaient à bas prix et les gens se sont intéressés à ces coopératives. »

Selon lui, il y avait partout des coopératives mais la plupart de ces maisons ont été transformées en bureaux communaux entre 1963 et 1964 : « Mais la mort de Rwagasore et les chicaneries politiques sonnent le glas des espoirs suscités par ces coopératives. »
Lors de l’indépendance en 1962, fait savoir le professeur Mukuri, les Burundais ne pouvaient pas s’accaparer de tout le patrimoine du pays à eux seuls sans les étrangers qui avaient la grosse part. « Les Burundais ne s’y étaient pas préparés. »
Du point de vue économique, souligne Apollinaire Nsambirubusa, le pays n’a pas connu de grands changements sous la première République : « C’était comme si la monarchie continuait. J’étais fonctionnaire. A la deuxième République, le Burundi s’est beaucoup développé. Il y a eu des industries et beaucoup d’infrastructures.»

Sous la 2ème République, explique l’économiste Charles Nihangaza, le président Jean-Baptiste Bagaza a eu beaucoup de chance et d’argent parce que depuis 1979, le prix de vente du café avait monté : « Il a initié divers projets, il a beaucoup contribué au développement du pays, le budget de l’Etat finançait d’autres projets. »
Lors du régime Bagaza, fait remarquer Apollinaire Nsambirubusa, les coopératives sont réinstaurées, le Département des coopératives est créé : « Il est toujours fonctionnel même si nous ne voyions pas trop ses effets.»

Les héritiers de Rwagasore…

Cap sur Mutoyi. Cette localité de la commune Bugendana abrite une quinzaine de coopératives qui font la Coopérative Mutoyi connue surtout pour ses poules pondeuses et ses poulets à chair…et ses agences à Bujumbura. Siro Simbakwira, responsable de la coopérative chargée de l’aviculture depuis 1979 témoigne : « Nous sommes des exemples pour la population environnante. Il nous faut un grand marché d’écoulement pour nos produits. Mutoyi pourrait alimenter deux pays parce que Bujumbura seul ne suffit plus. »
La Coopérative Mutoyi ne recourt plus aux crédits. « L’argent issu des produits des coopératives profite à toute la population », affirme Jérôme Niyonkuru, gérant de cette coopérative.

A Rutegama sur la colline Nyarunazi, les caféiculteurs ont compris qu’ils ne peuvent défendre leurs intérêts qu’en se mettant ensemble. Ils ont fondé la coopérative FOSDEV. Elle est dirigée par Ladislas Nizigiyimana, un paysan habitué des grands salons internationaux du café.
Cap sur Ngozi où s’activent les microfinances comme Turame, COOPEC et UCODE. D’après Dominique Mazambo, au service de cette institution créée en 2000 pour le relèvement communautaire, cette microfinance a été une véritable bouée de sauvetage pour plusieurs familles, les coopératives d’agriculteurs et les commerçants débutants.

Charles Nihangaza :« Malgré leur présence, elles ne concourent pas réellement au développement du pays. » ©Iwacu
Charles Nihangaza :« Malgré leur présence, elles ne concourent pas réellement au développement du pays. » ©Iwacu

Magnifique Kwizerimana, bénéficiaire d’un crédit de l’UCODE est commerçante au marché de Ngozi. Elle témoigne : « Cette microfinance nous a été très utile. J’avais des projets en tête mais faute de moyens, je n’arrivais pas à les réaliser.»
Jean-Bosco Ntakarutimana, est également commerçant au marché de Ngozi, il a bénéficié d’un crédit de cette microfinance mais éprouve des difficultés de remboursement. « Le taux d’intérêt est élevé. »

Il faut des microfinances plus proches de la population

D’après Charles Nihangaza, économiste, le fait que les microfinances n’ont pas le droit d’octroyer des crédits à long terme ou dans certains secteurs comme le logement, est problème : « Malgré leur présence, elles ne concourent pas réellement au développement du pays. » Cet économiste propose une révision des lois régissant ces microfinances pour être efficaces afin que les bénéficiaires ou les coopératives produisent plus.
Selon Apollinaire Nsambirubusa, il faut que les associations génératrices de revenus dont les coopératives d’agriculteurs soient soutenues. « Si l’Etat pouvait mettre un peu de capitaux dans ces microfinances, cela serait salutaire. Les délais de recouvrement des crédits sont courts au vu de la conjoncture et des aléas climatiques.»
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> Seuls près de 10% des Burundais ont accès aux crédits …

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«Si Ma Mémoire Est Bonne», c’est un bouquet d’émissions et de publications qui donnent la parole aux citoyens Burundais sur des sujets liés à l’histoire récente du Burundi, que les journalistes des trois médias remettent à l’ordre du jour. Ce programme réveille chaque semaine nos mémoires sur des thèmes et des évènements de l’histoire récente du Burundi.
C’est en promouvant la connaissance et la compréhension du passé, que cette production médiatique vise à contribuer à mieux comprendre le présent et à améliorer la cohésion entre les citoyens burundais.

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Forum des lecteurs d'Iwacu

7 réactions
  1. PERATI Patrick

    Bonjour à tous,
    Pour qui connaît Charles NIHANGAZA, faites-lui savoir que je le recherche car, alors qu’il était jeune conseiller aux Impôts de Bujumbura, j’étais Conseiller technique au Ministère des Finances du Burundi, j’ai pu ainsi collaborer un certain temps avec lui et je me rappelle d’un homme charmant. Qu’il me contacte sur [email protected]
    Merci à tous.

  2. MubiligiK

    Je suis grand fan de la microfinance. Au Burundi, elle avance sans faire du bruit, mais fait bien ce qu’on attend d’elle: elle contribue à la réduction de la pauvreté! Allez voir le nombre de membres du RIM , le réseau burundais des institutions de la microfinance (IMF), et vous aurez un beau tableau de ce secteur au Burundi. Evidemment, il leur faut des moyens (ressources financières – capitaux) pour prêter davantage. Ce n’est pas du bénévolat, mais de l’entrepreneuriat social, tout ce qu’il y a de plus noble dans le business (le social business) – lorsque la gestion est soutenue par une bonne gouvernance. Si la foule (nous) se mettait à investir dans des IMF (ce qu’on appelle Crowdfunding), ce serait une belle victoire contre la précarité… Je pourrai en parler pendant des heures, mais il faut plutôt agir… en étant bénévole dans une IMF par exemple!
    Je vous souhaite une belle journée!

  3. Avenir

    Ah oui la paresse! C’est entre autres le nœud du problème burundais: certains veulent bien vivre sans travailler. Il y a en qui ont en tête que certains doivent vivre en maîtres et d’autres en esclaves. C’est cette attitude qui a empêché le Burundi de se développer. En moins de 10 ans on a construit des infrastructures sociales qu’on a jamais construit depuis que le Burundi est Burundi. Bravo les travailleurs.
    Ceux qui rêvent encore le temps de passer toute la vie à kunehuka au lieu de se bouger, ce sont ceux-là qui provoquent les catastrophes parce qu’ils remarquent que tant qu’ils n’ont pas des esclaves sous leur commandement l’avenir n’est pas certains pour eux.

    Je salue le courage du paysan burundais qui avec sa simple houe arrive à faire nourrir autant de bouches. Malheureusement, par manque d’intelligence de ceux qui ont exploité le paysan, on a jamais pensé à améliorer cette houe qui fait vivre toute une nation.
    Bref tous les Burundais ne sont pas paresseux, certains oui.

    • kabaza

      Comme tu viens de le dire, la paresse et vivre sur le dos des autres sont des fléaux qu’il faut erradiquer. Beaucoup de maisons construites avec l’argent volé du contribuable. Quelles sont ces infrastructures sociales dont tu parles? Est ce que ce serait les terrains de football?

  4. Mugunza

    Les coopératives et les microfinances pourraient faire mieux marcher l’économie du Burundi mais je me demande si nous sommes mentalement-socialement préparés au commerce! Si les Bengalis ont reussi avec le systéme du Grameen Bank, ce n’est pas sûr que le Burundais moyen est prêt maintenant.

    Mon hypoththèse pour faire démarrer la croissance économique intégrée à partir des communautés de base au Burundi est d’abord d’éduquer la conscience du peuple sur certains faits entre autres: la compréhension de l’esprit de solidarité sociale doit être réanalysée de fonds en comble( ie. les dépenses faites pour les évenements sociaux: mort/mariage/fêtes sociales…)

    Dois-je exiger aux amis, membres de la famille etc à ce qu’ils couvrent les dépenses de mes cérémonies sans que je paie???

    Est-ce normal que je continue à considérer la poche, les champs, le patrimoine des voisins et des parentés comme en partie miens??? Que je peux continuer á éduques mes enfants aux frais des connaissances parce qu’elles sont plus nantis que moi?

    Cet esprit ne marche pas avec un esprit de criossance basée sur les échanges, le business…

    Aie-je tort?

  5. Mugunza

    « D’après Charles Nihangaza, économiste, le fait que les microfinances n’ont pas le droit d’octroyer des crédits à long terme ou dans certains secteurs comme le logement, est problème « .

    Les microfinances étant des alternatives aux banques, elles n’ont ni la mission, ni la capacité de donner des gros crédits ou des crédits à long terme. Je n’ai pas le temps d’entrer dans l’analyse détaillée!

    Note: C.Nihangaza est un juriste spécialiste en fiscalité.

  6. Stan Siyomana

    1. L’historien Melchior Mukuri: « Les blancs avaient en tete que les burundais etaient paresseux, il fallait alors leur faire payer l’impot »
    J’aimerais savoir si a la metropole, les belges eux-memes payaient l’impot a leur Etat belge tout simplement « parce qu’ils etaient paresseux ».
    2. Charles Nihangaza, economiste:
    a. « Malgre leur presence, elles (les microfinances) ne concourent pas reellement au developpement du pays ».
    Peut-etre qu’il n’y a pas assez d’encadrement et de suivi surtout avec le niveau d’alphabetisation qui est tres bas au Burundi.
    Au Bangladesh, le professeur Muhammad Yunus qui a cree Crameen Bank est appele « Banquier des pauvre » et il a eu le prix Nobel de paix en 2006 pour son idee innovatrice (de microcredit pour le developpement).
    b. « Les microfinances n’ont pas le droit d’octroyer des credits a long terme ou dans certains secteurs comme le logement… ».
    Le mot meme « micro » veut dire tres petit. Comment est-ce que l’on peut echelonner une « petite somme » d’environ 50 dollars a long terme?
    Le probleme du logement est tres serieux et nulle part au monde ou l’on a pu le resoudre avec des microcredits.
    Merci.

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