Jeudi 28 mars 2024

Ils sont venus au coin du feu

Au coin du feu avec Marie Louise Baricako

15/12/2018 Commentaires fermés sur Au coin du feu avec Marie Louise Baricako
Au coin du feu avec Marie Louise Baricako

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Marie Louise Baricako.

Votre plus beau souvenir ?

La célébration de mon diplôme de doctorat : un défi relevé et une bataille gagnée. C’était ma victoire, la victoire de ma famille, spécialement mon mari, qui m’a laissée partir pendant quatre ans et qui a pu jouer le rôle de père et de mère pendant toute cette période, pour la réalisation de mon aspiration. C’était aussi la victoire des femmes. Au Burundi, ce niveau était jusque-là réservé aux seuls hommes, les femmes n’y arrivaient pas. C’était un obstacle levé, la porte était enfin ouverte aux femmes, pour les convaincre qu’elles pouvaient désormais avoir des ambitions et les réaliser. L’élite burundaise au plus haut niveau s’ouvrait aussi aux femmes.

Votre plus triste souvenir ?

La honte que j’ai éprouvée en tant que Burundaise instruite face au grand nombre d’enfants de mon pays, sortis pour s’inscrire à l’école lorsque le président Pierre Nkurunziza a annoncé la gratuité de l’enseignement primaire. Je ne savais pas qu’il y avait dans notre pays autant d’enfants non scolarisés par manque de moyens.

Quel serait votre plus grand malheur ?

La chose qui me ferait le plus mal, après avoir donné de toutes nos énergies comme nous sommes nombreux à le faire en ce moment, ça serait de quitter ce monde sans voir de mes propres yeux ce nouveau Burundi dont nous rêvons : nation réconciliée, unie et unique, en plein essor socio-économique et prospère.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

La signature de l’Accord de paix et de réconciliation du Burundi à Arusha, août 2000. Le moment où les Burundais reconnaissaient ce qui avait bloqué la nation et décidaient collectivement d’enterrer la hache de guerre, de corriger les erreurs, de soigner les plaies, de recentrer le débat et de prendre la voie de la réconciliation et du développement pour tous. Cela reste vrai, pour autant qu’une nouvelle génération de leaders transformationnels se lève pour prendre les choses en mains et réaliser ce rêve qui hélas n’a jamais vu le jour. Beaucoup de Burundais ont cru que nous en terminions avec les crises cycliques, c’était bien vrai, mais il fallait encore mettre en œuvre ces Accords signés avec tant d’enthousiasme.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

1er juillet 1962. Ça me fait encore frissonner quand je me souviens de nos parents qui ont participé à ce combat. Je voyais leur joie totale, et je me disais : cela doit être très important ! C’était en effet un moment historique, dont je me souviens bien même si j’étais jeune. Le rêve n’est certes pas encore réalisé, mais la porte a été et reste ouverte.

La plus terrible ?

15 avril 2015. Nul n’aurait jamais imaginé que dans un pays qui se dit démocratique, le peuple pouvait exprimer aussi clairement son désaccord et ne pas trouver oreille attentive. J’ai eu comme l’impression qu’on avait toujours vécu dans l’illusion de démocratie, ou dans une démocratie du bout des lèvres, mais qu’en réalité, nous sommes encore loin du leadership visionnaire et de la gouvernance centrée sur le peuple qui caractérisent la démocratie. Une bonne partie de notre peuple semble encore aveuglé et incapable de faire la part des choses. Elle ne réalise pas encore où se trouve son intérêt et suit aveuglément le discours manipulateur de ceux qui osent profiter de cette ignorance, chantant la démocratie et la volonté populaire du bout des lèvres pour endormir ce grand nombre à si peu de frais et assouvir les soifs d’individus.

Le métier que vous auriez aimé faire ? Pourquoi ?

Enseignant. J’ai toujours vu dans ce métier une opportunité d’influencer positivement et de contribuer à l’édification de mon peuple.

Votre passe-temps préféré ?

Lecture, rencontres familiales.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Jenda, le lieu où j’ai été formée et où se sont développées mes aptitudes et mes aspirations.

Le pays où vous aimeriez vivre ? Et pourquoi ?

Burundi. C’est chez moi, c’est mon pays, le pays que j’aime le plus au monde.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Croisières sur le lac Tanganyika : traversée sur la Zambie, la RDC, la Tanzanie ! Je pense souvent à cette position privilégiée que nous donne le Lac Tanganyika, même si, comme tant de nos autres ressources, nous ne l’exploitons pas encore suffisamment.

Votre rêve de bonheur ?

Voir les Burundais sortis de la pauvreté et de la médiocrité! Vivre dans le Burundi sorti du sous-développement, « Cap sur l’Excellence ». Ce jour-là je saurai que les miens n’auront plus besoin de quitter le pays pour avoir des opportunités de réussite et de bonheur.

Votre plat préféré ?

Chose qui m’étonne aussi, après avoir tant voyagé et goûté à tant de cuisines, de menus et de délices, Intete+Ibiharage ; Ibigori vyokeje ; Umutsima w’ibigori ou ingano, restent encore mes plats préférés ! Je les aime beaucoup ! C’est le genre de choses que l’on ne peut expliquer.

Votre chanson préférée ?

Burundi Bwacu !!!! C’est un chant qui me pince le cœur et me donne la chair de poule ! J’ai surtout réalisé cela quand je suis restée longtemps à l’extérieur de mon pays.

Quelle radio écoutez-vous ?

Humura ; Inzamba, BBC, VOA  et RFI

Avez-vous une devise ?

Oui : « Je ne me décourage pas, je n’abandonne pas ». Je me le répète souvent quand je me sens à bout des nerfs, tentée d’abandonner et de prendre la voie la plus facile.

Votre souvenir du 1er juin 1993 ?

Tout de suite, j’étais sous le choc…, tant la campagne électorale avait été trop ethnicisante, avec incitation à la haine et à la violence, sans prendre beaucoup de gants. On avait peur du changement. Je me suis vite ressaisie en me convainquant que quel que soit celui qui gouverne, s’il nous laisse vivre en paix, « chacun dans son manque ou son abondance », il n’y aurait pas de quoi avoir peur. Ce qui resterait serait de relever le défi de la bonne gouvernance qui n’a pas toujours été et n’est toujours pas satisfaisante.

Votre définition de l’indépendance ?

La capacité d’un pays à s’assumer, à prendre en main sa destinée, à décider du système qui le gouverne, et à se prendre en charge. On ne saurait dire qu’on est indépendant quand on compte encore sur les autres pour prendre en charge son peuple et répondre aux besoins les plus élémentaires de sa population. La dignité inhérente à l’indépendance ne va pas avec la mendicité. L’indépendant négocie ses relations, il reçoit et donne en retour. Il n’a pas la main tendue, il vit dans la relation du donner et du recevoir. Notre indépendance n’est donc pas encore effective, tant que nous sommes encore un peuple qui vit d’aide.

Votre définition de la démocratie ?

Système de gouvernement centré sur le peuple, au service du peuple et porté par le peuple. Je m’inquiète souvent quand nous parlons de démocratie sans savoir exactement de quoi nous parlons. Il y en a qui confondent le « populisme » et la manipulation de la population avec la démocratie. La démocratie met le peuple en avant, elle ne décide pas pour lui, elle l’associe ; elle cherche avant toute autre chose, l’intérêt et le bien-être de la population. Ce n’est ni une question de souveraineté, ni d’autorité, ni de liberté de faire ce qu’on veut et comme on le veut parce qu’on a été choisi, c’est une question de tout faire dans l’intérêt de tout le peuple sans exclusion, avec la participation de tous, en gardant à l’esprit l’obligation de rendre compte. Le bon démocrate est le serviteur de son peuple.

Votre définition de la justice ?

L’application de la loi d’une manière équitable pour tous, la reconnaissance du droit de toute personne à tout ce que prévoit la loi et la responsabilité de toute personne devant tout ce que prévoit la loi.

Si vous étiez ministre des droits de l’Homme, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Réaffirmation de la sacralité de la vie humaine et de la responsabilité de l’État de protéger la vie et la sécurité du peuple. Ensuite prendre des mesures contre toute discrimination de quelque nature qu’elle soit dans la protection des droits de l’homme et la sensibilisation de la population et surtout des plus jeunes à cet effet.

Si vous étiez ministre de l’Environnement, quelles seraient vos deux premières mesures ?

La première chose que je ferais serait d’ordonner que quiconque coupe un arbre en plante un autre. La seconde serait d’éduquer toute la population sur l’importance de la préservation de l’environnement afin de s’assurer que les générations futures trouveront le Burundi aussi viable ou même meilleur que maintenant. L’environnement sain et sécurisé est un facteur important pour le développement durable.

Croyez-vous à la bonté naturelle de l’homme ?

Oui. En principe tout homme est naturellement bon, parce que créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Evidemment, pour vivre pleinement sa vie et avoir un impact sur l’histoire ou alors rater complètement l’objectif de la vie, l’être humain doit faire le choix entre le bien et le mal, et c’est à ce stade que se joue la réussite ou l’échec de la vie. Et cette réussite ou cet échec ne s’évaluent pas par les biens accumulés, la popularité, le pouvoir exercé ou tout autre facteur égocentré. Cela se mesure en termes d’influence positive, d’utilité pour sa génération, de legs à l’histoire, de contribution à la transformation des vies de ceux qu’on aura côtoyés.

Pensez-vous à la mort ?

Oui. Même si on n’y pensait pas, elle est tellement présente qu’il serait illusoire de l’ignorer ou de l’occulter. La mort fait partie des étapes de toute créature. Ce qui naît doit mourir un jour. Ainsi, ce qui compte, ce n’est pas de savoir si on mourra ou pas, mais de quelle mort on mourra. Que dira-t-on le jour de mon départ ou lorsque je serai partie ? Se souviendra-t-on de moi comme une personne inoubliable, dont telle ou telle personne ne serait pas ce qu’elle est n’eût été le rôle que j’ai joué dans sa vie ? Suis-je en train d’écrire par ma vie une histoire qui survivra après ma mort ? Voilà la véritable question. Beaucoup de gens ont une opportunité en or de marquer l’histoire à jamais, en rendant le monde qu’ils habitent bien meilleur qu’ils ne l’ont trouvé. Combien se soucient de cet aspect important de la vie ? Quel rapport faisons-nous à ceux qui comptent sur nous, ceux qui nous mandatent, ou même ceux qui ont moins de chance que nous de connaître ou d’avoir accès à tout ce que nous avons à notre portée ? Quel rapport ferons-nous à notre Créateur qui nous a donné cette opportunité d’impacter le monde ? Ce moment viendra à coup sûr, mais il faut vivre sa vie en le gardant à l’esprit.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

J’espère que je pourrai lui dire que j’ai fait tout mon possible dans tout ce que j’avais à faire. Je constitue encore mon rapport, mais j’espère que je pourrai le regarder en face et lui dire: avec tous les moyens que tu m’as donnés, voici mon rapport. Rien n’est plus malheureux que d’être né, de vivre et de partir sans rapport. J’espère qu’à mon départ, je n’aurais ni détruit, ni tué, ni empêché de vivre qui que ce soit et en quoi que ce soit. J’espère que j’aurai au moins quelques vies transformées à mon actif pour mériter une récompense.

Propos recueillis par Diane Uwimana

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BIO-EXPRESS  

Née le 29 juin 1952 à Burenza, Kiganda, Province de Muramvya, Dr Marie Louise Baricako a fait ses études universitaires à l’Ecole Normale supérieure, Section Anglais-Français de 1972 à 1976. Elle fut assistante à l'Université du Burundi, Département de Langues et Littérature anglaises jusqu’en 1980. De 1980 à 1984, elle fait ses études de doctorat à l'Université de Yaoundé, Cameroun avant de revenir enseigner à l’Université du Burundi jusqu’en 1988. Mme Baricako est présidente du Mouvement des femmes et des filles pour la paix et la sécurité au Burundi (MFFPS). De plus, elle est une Consultante internationale, traductrice, activiste dans le domaine de Femmes, Paix et Sécurité depuis 1989. Ses interventions sont surtout dans le cadre de l'Union africaine, l'ONU, Communauté Est-Africaine, Union européenne et d'autres. Mme Baricako est membre de plusieurs organisations dont membre du Conseil d'administration de International Leadership Foundation (ILF Global) depuis 2012 ; membre du Comité directeur du Réseau de femmes africaines médiatrices (FEMWISE) depuis 2016 ; membre du Réseau des femmes africaines leaders (AWLN) depuis 2017… Elle fut aussi membre du panel de haut niveau du Secrétaire général des Nations Unies sur les opérations de paix, 2014 à 2015, Mme Baricako voyage beaucoup et a presque fait tous les pays africains et beaucoup d'autres pays sur tous les continents. Le kirundi est évidemment sa langue maternelle et elle l'aime beaucoup. Elle parle couramment le français et l'anglais, et comprend le Swahili. Elle est très féministe et croit beaucoup en la jeunesse. D’après elle, ce sont les deux piliers de tout développement en Afrique. Tout dirigeant qui les laisse en arrière n'arrivera à rien, dit-elle.

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