Vendredi 29 mars 2024

Politique

2015 : l’éternel débat sur l’indépendance de la magistrature

L’année 2015, les cours et tribunaux ont entendu quatre grands dossiers : les affaires Bob Rugurika, les prisonniers de guerre, les manifestants et les prévenus putschistes.

Bob Rugurika : symbole de la liberté de la presse

L’incarcération du directeur de la Radio Publique Africaine (RPA) s’est accompagnée de l’adoption par l’Assemblée nationale d’une nouvelle loi sur la presse, moins liberticide.

Bob Rugurika en tenue de prisonnier
Bob Rugurika en tenue de prisonnier

Le 20 janvier, Bob Rugurika répond à une convocation du parquet de la République en mairie de Bujumbura. Il est prié de « fournir des éclaircissements sur le dossier assassinat des sœurs italiennes et de produire devant le ministère public le criminel à sa disposition ».Le criminel dont il est question est la personne qui a témoigné sur les ondes de la RPA, avoir participé à l’exécution des trois sœurs italiennes, le 7 novembre 2014 à Kamenge (nord de la capitale). Sans fard, la personne a affirmé avoir égorgé de ses mains la troisième sœur.

Après audition, le substitut du procureur de la République, Emmanuel Nkurikiye, inculpe Bob Rugurika pour trois infractions : le manquement à la solidarité publique, la complicité d’assassinat et de la violation du secret d’instruction. Il encourt au moins vingt ans de prison.Il est écroué à Mpimba puis transféré à la prison de Muramvya (40 km de la capitale).

Me Lambert Nigarura, un des quatre avocats de la défense parle d’une parodie d’instruction. « Il est clair que le magistrat instructeur n’était pas maître du dossier car à maintes reprises, il sortait de son bureau pour des concertations avec le procureur de la République ». Même son de cloche chez le bâtonnier de Gitega : Me Raphael Gahungu affirme que les charges du ministère public sont « une aberration ».
Vendredi 30 janvier, le procureur de la République en mairie de Bujumbura, Arcade Nimubona et son substitut, Emmanuel Nkurikiye, sont à Muramvya pour « le complément d’instruction ». Déception de la défense : Bob n’est pas libéré. 4 février. Le Tribunal de grande Instance siège dans la prison de Muramvya en chambre de conseil.
Le 5 février, la chambre de conseil du Tribunal de Grande Instance de la mairie de Bujumbura se prononce pour le maintien en détention préventive. C’est l’appel.

Le 16 février, c’est la session de la chambre de conseil de la Cour d’Appel de Bujumbura. Le trio des avocats Lambert Nigarura, Fabien Segatwa et Janvier Bigirimana sort optimiste. « Pour la première fois, le ministère public s’est prononcé favorablement pour la liberté provisoire du directeur de la RPA ; même s’il l’a conditionnée au versement d’une caution de 20 millions de Fbu et à la production du criminel devant le parquet », indique Me Nigarura.

18 février. Dans l’avant-midi, la décision de mise en liberté provisoire tombe. Une sortie conditionnée entre autres par le paiement de la caution des 15 millions. La défense est satisfaite même si Me Nigarura dit que la caution est exorbitante. Il aurait aimé que le juge prononce la mainlevée.Pour raison de formalités administratives, Bob Rugurika quittera la prison le lendemain.

A travers Bob, la victoire de la presse

La liberté provisoire a sonné comme la victoire de la liberté de la presse. La défense et bien d’autres juristes étaient persuadés que Bob Rugurika ne devaient pas être poursuivi selon le Code pénal (à titre personnel) mais que si infraction il y avait, il devrait être jugé selon la Loi sur la presse. Celle-ci dépénalise le délit de presse.
Le 4 mars (deux semaines après sa libération), l’Assemblée nationale adopte une nouvelle loi sur la presse qui remplace le précédent texte très controversé, promulgué en juin 2013 et alors partiellement invalidé en janvier 2014 par la Cour constitutionnelle du Burundi.

Parmi les dispositions qui posaient problème et qui seront remaniées, on citera notamment celles concernant le secret des sources, le Conseil national de la communication et les lourdes amendes pour délit de presse. Mais,jusqu’ici, cette loi n’est pas encore promulguée par le président de la République.
Signalons que le «tueur » est locataire de la prison de Mpimba depuis le 11 avril. C’est un agent du SNR du nom de Juvent Nduwimana, arrêté en Somalie où il servait dans le contingent burundais de l’Amisom. Le procès des trois sœurs italiennes stagne au niveau du parquet. Entre-temps, Bob Rugurika vit en exil à l’étranger. Christian Butoyi, le déficient mental qui avait revendiqué l’assassinat des trois sœurs a été admis au centre neuropsychiatrique de Kamenge.


Les prisonniers de guerre : Justice à deux vitesses

Deux procédures ont été utilisées par la justice de la province Cibitoke pour traiter deux cas pourtant quasi identiques : les capturés de l’attaque de la « bonne année » et ceux du 10 juillet.

Neuf rebelles capturés et exhibés par l’armée au lendemain de l’attaque de Cibitoke
Les capturés de l’attaque de la « bonne Année »

30 décembre 2014. Des rebelles attaquent la province Cibitoke. 15 capturés sont présentés par l’armée à la police qui les défère devant le parquet de la République. Même si les présumés ont été attrapés en flagrant délit, le dossier sera traité suivant la procédure normale. Les détenus seront présentés en chambre de conseil du Tribunal de Grande Instance de Cibitoke, étape qui n’est pas prévue en cas de procédure d’infraction flagrante. Les 15 détenus ont été admis à la prison de Bubanza le 8 février pour attendre leur jugement en audience publique.

Par contre, le 10 juillet, des rebelles sont capturés au nord-ouest du pays, à Kabarore (Kayanza) et Bukinanyana (Cibitoke). Au moins 225 sont jugés et condamnés dès le 13 juillet suivant la procédure de flagrance. Ils sont actuellement gardés à la prison de Rumonge. Ils attendent le procès en appel.

Signalons que la procédure de flagrance est la plus cruelle pour les accusés. Souvent, ils ne bénéficient pas de l’assistance d’un avocat. Pourtant en son article 166, le Code de procédure pénale stipule : « Lorsque l’infraction pour laquelle le prévenu est poursuivi est puni de la servitude pénale d’au moins vingt ans, l’assistance d’un défenseur est obligatoire sauf si le prévenu y renonce ». L’article étend ce préalable au cas des prévenus mineurs et aux déficients mentaux.


Les manifestants ont échappé à la perpétuité

Le Tribunal de Grande Instance de la mairie de Bujumbura a entendu en octobre au moins 225 détenus, prévenus pour la participation au mouvement insurrectionnel après l’officialisation de la candidature du président Nkurunziza à la présidentielle, le 25 avril.

Des manifestants sont embarqués pour la garde à vue
Des manifestants sont embarqués pour la garde à vue

On retiendra que le verdict du juge a été de loin moins sévère que le réquisitoire de perpétuité du ministère public. 97 seront élargis après formation patriotique le mardi 8. Le gros de l’effectif (102) a été condamné à 2 ans de servitude pénale. 3 seulement seront condamnés à 5 ans de prison.

Signalons que 58 mineurs manifestants avaient été relâchés le 28 novembre après une formation patriotique d’un mois au centre de rééducation des mineurs en conflit avec la loi de Rumonge.

Mais d’autres manifestants croupissent toujours dans les prisons sans avoir été jugés.

L’intérêt de ce verdict est qu’il a relancé le débat sur l’indépendance de la magistrature. D’aucuns ne comprennent pas comment un même juge du TGI de la mairie avait prononcé des peines très sévères allant même à la perpétuité (22 des 43 jeunes encore détenus) pour les jeunes du MSD arrêtés le 8 mars 2014. Pourtant, estiment bien des observateurs, les échauffourées à la permanence du parti d’Alexis Sinduhije (en exil depuis ce jour) étaient d’une moindre ampleur par rapport aux manifestations contre le troisième mandat. Pire, ces dernières ont débouché sur un coup d’état avorté.

Signalons que le procès en appel des détenus MSD a été entendu du 26 au 30 octobre puis mis en délibéré. Le verdict aurait dû tomber au plus tard le 30 novembre. Pour cause d’indisponibilité d’un juge du siège, une autre audience publique devra être programmée comme cela est d’usage en pareil cas.


Présumés putschistes : glose sur le droit à la défense

Le procès des 28 militaires et policiers prévenus pour participation au putsch manqué de mai s’est ouvert lundi le 14 décembre à Gitega.

Les prévenus comparaissent devant la Cour suprême
Les prévenus comparaissent devant la Cour suprême

Devant des magistrats de la Cour suprême, les détenus ont évoqué l’accès au dossier. Mais le procès achoppe essentiellement sur le droit de la défense. Bien des prévenus ne sont pas assistés. La cour suprême a même récusé sept avocats de la défense pour cause d’absence injustifiée à une audience publique. Il s’agit entre autre des avocats Onésime Kabayabaya, Lambert Nsabimana, Zénon Nzeyimana, Fleury Nzeyimana, Jean Paul Niyongabo.

Selon l’un de ces avocats, il aurait été inutile de se présenter à l’audience alors qu’ils n’ont pas pu avoir accès au dossier.

Le prévenu Général-Major Cyrille Ndayirukiye, ancien ministre de la Défense sous le président Buyoya et numéro 2 du putsch, demande que soient déférés devant la Cour les généraux Pontien Gaciyubwenge (ex-ministre de la Défense), Prime Niyongabo (chef d’Etat-Major) et Godefroid Niyombare (le numéro 1 du putsch manqué).

Signalons qu’in limine litis, les prévenus ont demandé en vain l’assouplissement des conditions carcérales. A la prison de Gitega, ils sont gardés dans des cellules d’isolement. Cela rappelle les conditions carcérales d’avant la visite du président Nelson Mandela, en 2000.

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Kana Éric

    Merci mon Général ,nombreux sont ceux qui vont à l’école pour étudier malheureusement peu en sort éduquer ,je ne suis pas sur si les juges on compris votre intervention vous avez un style académique élevé par rapport à la moyenne
    Du reste sois fort et patient

  2. Mayisha Gashindi

    Le procès de ces héros de la constitution (je ne les appellerai jamais putschiste pour mon amour envers mon Burundi et sa constitution) me rappelle étrangement celui des Ndabakwaje et Ntungumburanye sous la dictature Micombero en 1971. La seule différence est que celui de 1971 ne rassemblait que les natifs de Muramvya et Tutsis, alors que celui de 2015 sous la dictature de Nkurunziza rasemble les gens originaires de toutes les provinces, de toutes les éthnies. Ce qui témoigne oooh combien le Burundi est agacé par la dictature de ce Monsieur qui nous prend en otage pour confusquer le pouvoir

  3. Ragiryabohambere

    Les lois étaient ,toujours là, elles sont là et elles seront toujours là. Mais elles sont violées et piétinées partout et en tout par le gouvernement et les gouvernants aussi illégaux. Et voilà les conséquences qui pèsent sur la pauvre population qui les vivent et observent impuissamment. Le Burundi va vraiment très mal. Au secours maprobu!!!!!!!!!,au secours la cpi!!!!

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